L’homme est grand de taille. Une stature à la mesure d’un projet qui, finalement, tient en peu de mots : « Trois créateurs emblématiques, soudés autour d’un projet commun : inventorier et pérenniser d’anciens gestes horlogers. Un jeune professeur d’horlogerie, chargé d’apprendre ces savoir-faire menacés d’oubli. Un garde-temps fabriqué à la main, dans le plus pur esprit de la tradition horlogère. Tels sont les acteurs et les ressorts du projet. » Peu de mots certes mais une aventure de taille donc pour Michel Boulanger, ce « jeune professeur » dont les mentors, ces « trois créateurs emblématiques », ne sont autres que Philippe Dufour, Robert Greubel et Stephen Forsey. La fine fleur de l’horlogerie contemporaine, pour ainsi dire, engagée dans une odyssée intitulée « Le Garde-Temps – Naissance d’une Montre ».
Concrètement, cela fait quatre ans que les quatre protagonistes œuvrent à la réalisation de ce qui pourrait bien être considéré comme l’aboutissement d’une démarche extrême et sans concession. Celle consistant à apprendre à un horloger à faire sa montre de A à Z avec les outils d’autrefois, c’est-à-dire sans la technologie moderne qui permet aujourd’hui de tout faire, de l’usinage des pièces les plus complexes au guillochage, voire au sertissage machine. Michel Boulanger se devait donc de devenir le roi du fait-main pour la conception et la réalisation de sa montre trois aiguilles avec échappement à tourbillon. Sans oublier l’étape cruciale des finitions et décorations de tous les composants du mouvement. En connaissant le niveau d’exigence des trois maîtres horlogers qui tiennent le gouvernail, on comprend aisément le niveau de difficulté qui attendait Michel Boulanger. « C’est vrai qu’au début, je ne me rendais pas véritablement compte de ce qui m’attendait, explique-t-il. C’est vrai également que nous avons accumulé du retard dans l’avancement du projet. Et c’est encore vrai que l’année écoulée est de celles que l’on ne voudrait pas vivre deux fois en termes de charge de travail, car, en parallèle, j’ai repris mes activités de professeur. Et pourtant, quelle expérience ! »
Une forme d’horlogerie qui mérite le respect
Pour Michel Boulanger, que l’on voit désormais tous les ans au Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH), le sourire est de mise. À l’heure actuelle, il termine sa montre école, une pièce pour la beauté du geste en quelque sorte, qui ne sera pas commercialisée. « Je dirais qu’elle est finalisée à 95 %, précise-t-il. Mais cela fait des semaines que je suis dessus. Heureusement avec l’aide de Séverine Vitali, chef décoratrice de Greubel Forsey, qui assure ma formation par la même occasion. Comme je n’avais jamais effectué de type d’opérations, j’ai tout à apprendre. » Prochaine étape : la vente en mars prochain chez Christie’s à Hong Kong de la toute première pièce terminée par Michel Boulanger, un prototype au mouvement non décoré dont la réalisation précède sa montre école. Les fonds récoltés, tout comme ceux qui proviendront des 11 pièces encore à réaliser, serviront à financier la deuxième étape du projet consacrée véritablement à la transmission des savoirs accumulés lors de ces premières années d’expérience. Via une école ?
En attendant, Michel Boulanger se prépare mentalement pour la suite des événements. Après le SIHH, il va en effet entamer la production de ces pièces que les clients attendent depuis maintenant quatre ans. Certains collectionneurs ont en effet souscrit dès le début aux garde-temps promis par « La Naissance d’une Montre ». Le premier d’entre eux devrait être comblé vers la fin de l’année. Tout comme Michel Boulanger : « J’anticipe déjà ce moment. Un moment de pur bonheur tant pour moi que pour le client. J’ai déjà eu l’occasion d’assister à de tels instants lorsque des clients de Philippe Dufour venaient chercher leur montre deux ans après l’avoir commandée. De l’émotion à l’état pur. En ce qui me concerne, je tiens à souligner que ces collectionneurs qui sont montés dans le bateau au départ de la croisière il y a quatre ans ont en quelque sorte embrassé une idée. Ils ont cru à un concept sans avoir rien vu. En un sens, cette marque de confiance est extraordinaire. » Vu le tour que prend le « Garde-Temps », cette reconnaissance s’adresse bel et bien à une forme d’horlogerie qui mérite le respect.