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Cette technologie qui fait vaciller le luxe
Economie

Cette technologie qui fait vaciller le luxe

mardi, 15 novembre 2016
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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8 min de lecture

Lors du 8e Forum de l’horlogerie, les dirigeants de Cartier, Audemars Piguet et MB&F sont venus expliquer leur modèle d’affaires dans un environnement actuel hostile aux horlogers. Chacune de ces approches a son originalité, toutes ont en commun de maintenir leurs auteurs dans la zone verte.

Quand on parle de Cartier, on évoque une Maison qui occupe le devant de la scène horlogère et joaillière avec un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards de francs, selon la Banque Vontobel. Une Maison qui, selon le dernier rapport semestriel du groupe Richemont, a réussi à limiter la glissade généralisée que l’on observe depuis un an et demi dans l’industrie horlogère suisse. Cyrille Vigneron, CEO de la Maison, le confirmait lors du récent Forum de la Haute Horlogerie : « Cartier va bien compte tenu des turbulences que l’on connaît aujourd’hui. La marque affiche une belle résilience notamment grâce à la joaillerie. Ce qui ne nous empêche pas d’être confrontés à une série de changements auxquels nous devons apporter une réponse. Réponse qui ne va pas de soi, notamment si l’on considère les récentes évolutions technologiques qui font vaciller tout le secteur du luxe. Personnellement, je dirais que les mutations les plus importantes concernent aujourd’hui la distribution, un enjeu crucial mais hors radars car dans les coulisses de la profession. »

À l’heure actuelle, nous sommes confrontés à un véritable choc de volatilité.
Cyrille Vigneron, CEO de Cartier
« Les produits horlogers sont trop chers »

Comment en effet concilier un réseau de boutiques physiques qui, selon Cyrille Vigneron, restent indispensables dans l’acte d’achat mais qui est aujourd’hui remis en question par ce qui se passe en amont, via Internet ? « Les clients s’informent sur Internet, comparent les prix et sont aujourd’hui capables d’acheter n’importe quoi n’importe où. Les réseaux de distribution n’ont pas été conçus pour cela. La toile est en train de bouleverser toute la logistique mondiale. Avec cette difficulté supplémentaire que les réseaux de boutiques sont basés sur des cycles longs, soit cinq ans pour construire, deux ans pour réduire si nécessaire. À l’heure actuelle, nous sommes donc confrontés à un véritable choc de volatilité. » Et ce n’est pas le mot de la fin. Déstabilisées par ces nouvelles habitudes de consommation, notamment de la part des jeunes, les Maisons doivent également prendre en considération les changements d’attitude vis-à-vis du luxe.

Cyrille Vigneron Cartier
Cyrille Vigneron, CEO de Cartier

« Dans ce registre, il faut faire une distinction entre l’Europe, ou plus généralement l’Occident, et l’Asie, poursuivait Cyrille Vigneron. À l’heure actuelle, tout le monde regarde ce qui se passe en Chine vu que ce marché a changé le visage de l’horlogerie mondiale, qui, grâce à lui, a doublé de volume. On aurait tort de se focaliser sur les mesures anti-corruption et la baisse de l’ordre de 25 % du yuan qui ont touché de plein fouet les ventes de montres. L’économie chinoise reste celle d’une grande puissance créatrice de richesses et l’appétence pour le luxe et pour ce qu’il représente reste intacte dans le pays. Il n’en va pas de même en Europe. Après une dizaine d’années d’augmentation ininterrompue des prix, les produits horlogers sont trop chers. Les jeunes n’ont plus les moyens de se les offrir. Leurs références ne sont donc plus les mêmes que celles de leurs parents. Pour Cartier, une marque adulte, prisée pour des modèles apparus souvent il y a quelques dizaines d’années, la question est de savoir comment toucher ce public sans faire du jeunisme. Autrement dit, comment peut-on moderniser la musique classique sans faire du rap ? »

Le chiffre d’affaires d'Audemars Piguet a progressé de 550 à plus de 800 millions ces quatre dernières années et la croissance se poursuit.
De bonnes décisions avant l’heure

Pour Audemars Piguet, il n’est pas davantage question d’abandonner les valeurs défendues par les fondateurs de la Maison, celles qui font que la marque « est restée vraie avec des produits qui parlent aux gens », selon les propos d’Olivier Audemars, vice-président du Conseil d’administration. L’introspection menée au sein même des instances dirigeantes de la marque, à la suite du succès inattendu de la Royal Oak Offshore, une version survitaminée de son best-seller, a en effet conduit Audemars Piguet à prendre des décisions dès 2010 qui portent pleinement leurs fruits aujourd’hui : réduction du nombre de références et donc des stocks chez les détaillants pour une meilleure rotation, réduction également des points de vente pour obtenir un réseau plus sélectif, limitation de la production à 40 000 pièces pour éviter toute fuite en avant, notamment en Chine. Résultat : le chiffre d’affaires a progressé de 550 à plus de 800 millions ces quatre dernières années et la croissance se poursuit.

Olivier Audemars Audemars Piguet
Olivier Audemars, vice-président du Conseil d'administration d'Audemars Piguet

L’image de marque d’Audemars Piguet, parfaitement symbolisée par cette campagne promotionnelle où l’on voit les forêts de la Vallée de Joux dans le brouillard pour un effet recherché d’authenticité, a ainsi gardé toute son aura. Conclusion d’Olivier Audemars : « Cette campagne a été une sorte de déclencheur. Elle nous a poussé à nous demander qui nous étions dans un monde technologique où l’on ne comprend plus ce qui se passe, où l’on vit entouré d’objets dont on ne sait pas vraiment où ils sont fabriqués ni comment ils fonctionnent. La réponse est comme les pierres et les sapins de la Vallée. Nous restons dans le concret avec une horlogerie de complication à taille humaine, aux frontières de l’art et de l’artisanat. »

Max Büsser a décidé qu’avec 15 millions de chiffre d’affaires, la Maison qui compte une vingtaine de collaborateurs a atteint sa taille idéale.
Une créativité débridée

De l’art, le mot est lâché. Car pour Maximilian Büsser, propriétaire et directeur créatif de MB&F, l’horlogerie est un art et sa Maison réalise des sculptures mécaniques qui donnent l’heure. Deux lignes de produits se partagent la créativité d’une marque dès lors atteinte de schizophrénie : des Horological Machines faites avec les tripes et des Legacy Machines faites avec la tête. Autre caractéristique de MB&F : depuis 2013, plus question de grandir. Max Büsser a décidé qu’avec 15 millions de chiffre d’affaires pour une production de l’ordre de 300 pièces par année la Maison, qui compte une vingtaine de collaborateurs, avait atteint sa taille idéale. « Ce n’est pas qu’une question de principe, expliquait-il. Mais je savais qu’une telle taille d’entreprise me rendrait heureux, car elle encourage suffisamment la créativité pour aller de l’avant, sans la brider pour des questions de productivité et de rentabilité. Pour preuve, cette année nous sortons 10 nouveautés qui, sur les 12 derniers mois, représentent plus de 80 % de notre chiffre d’affaires. Alors certes je ne peux pas offrir d’augmentations salariales ni de plans de carrière à mes collaborateurs, d’autant que la hiérarchie est inexistante chez nous. Mais je peux en revanche leur proposer un environnement de travail agréable et la fierté de participer à une aventure unique dans le microcosme horloger. »

Maximilian Büsser MB&F
Maximilian Büsser, propriétaire et directeur créatif de MB&F

Depuis deux ans, MB&F vit sur un petit nuage, avec une communauté d’aficionados qui accompagne la marque comme autant de groupies, même si tous n’ont pas forcément les moyens de s’offrir une montre de la marque. Le succès est d’ailleurs tel que Max Büsser a dû transiger avec l’un de ses principes. « J’ai toujours dit que nous ne nous lancerions jamais dans l’usinage des pièces. Nous avions certes des machines CNC pour le prototypage et les retouches, mais j’avais bien l’intention d’en rester là. Or MB&F vient d’acquérir trois CNC. Dans l’horlogerie, ce n’est un mystère pour personne que les relations avec la sous-traitance peuvent être difficiles, surtout quand on produit des petites séries comme nous. Or nous ne pouvons pas nous permettre de retarder la livraison de nos montres pour des questions de délais chez nos fournisseurs. Notre marge d’autofinancement ne nous donne pas la possibilité d’attendre. » Jusqu’ici toutefois, et malgré quelques dangereux soubresauts, notamment en 2008 et 2009, elle a très bien tenu, si bien d’ailleurs que MB&F dispose aujourd’hui de trois MAD Galeries, des endroits fidèles à l’esprit de la marque où d’autres « dingues » exposent d’autres objets rétrofuturistes qui, ceux-là, ne donnent pas forcément l’heure. Mais qui s’en soucie ?

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