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Culture

« Combattre l’industrie du faux est devenu de plus en plus complexe »

mardi, 22 janvier 2008
Par Quentin Simonet
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Quentin Simonet

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8 min de lecture
 

Marc Frisanco, expert du Groupe Richemont dans la lutte anti-contrefaçon, fait le point sur ce fléau pour l’horlogerie, fléau qui a changé de dimension de par son internationalisation, sa vivacité et la montée en puissance des intermédiaires qui l’animent.

Pour le Groupe Richemont, propriétaire entre autres de Cartier, IWC, Jaeger-LeCoultre, A. Lange & Söhne, Panerai, Piaget, Vacheron Constantin… la lutte anti-contrefaçon revêt une importance primordiale. Les budgets alloués à la traque aux faussaires ne cessent ainsi d’augmenter. A l’heure actuelle, quelque 30 personnes travaillent dans cette cellule menée par Marc Frisanco.

Quel bilan peut-on tirer de cette année de lutte anti-contrefaçon ?

Marc Frisanco, Deputy Intellectual Property Advisor: Je dirais que malheureusement, la contrefaçon dans l’horlogerie a changé de dimension de par son internationalisation, sa vivacité et la montée en puissance des intermédiaires qui l’animent. Que ce soit au niveau de l’acte de fabrication, de la commercialisation et de la distribution… Combattre l’industrie du faux est devenue une tâche de plus en plus complexe. L’arrivée d’Internet a largement accéléré ce phénomène en raison de l’anonymat qu’il autorise et des possibilités techniques offertes aux contrefacteurs d’éparpiller leurs activités délictueuses de par le monde. La tâche d’identifier et de comprendre les réseaux, indispensable à une lutte efficace anti-contrefaçon, devient de plus en plus ardue. C’est inquiétant.

Encore plus qu'il y a quelques années ?

Je le crains fort. La contrefaçon a littéralement explosé ces dernières années, dopée par Internet. Quand bien même les actions légales et les opérations médiatiques s’accroissent, les résultats ne sont pas à la hauteur. Certes, ce phénomène est maintenant connu des politiciens au plus haut niveau. Ainsi, le président français Nicolas Sarkozy a abordé cette thématique lors de son récent voyage en Chine. Mais avec une certaine inefficacité. Assez bizarrement, plus on parle de cette problématique, plus celle-ci est banalisée, voire tolérée.

Quels éléments existent-ils pour affirmer que la contrefaçon explose ?

Etant donné qu’il s’agit d’une activité souterraine, il est difficile de la quantifier. Mais prenons un exemple concret: celui des saisies douanières. Elles augmentent de manière alarmante. Il faut toutefois savoir que les autorités ne contrôlent que 1 à 2% des marchandises qui arrivent dans un pays. En d’autres termes, dans les 98% restants, il est indéniable que le faux foisonne.

Internet, premier vecteur de la contrefaçon ?

Certainement. Il faut bien comprendre qu’Internet permet une certaine opacité, tant au niveau des acteurs qui se cachent derrière la toile que de leur responsabilité vis-à-vis des actes de contrefaçon. On peut fermer et rouvrir des sites en quelques clics. Auparavant, cela posait moins de problèmes. C’était presque limpide, avec un point de vente physique, identifié. Entamer une action judiciaire était dès lors beaucoup plus aisé. Aujourd’hui, nous faisons face à des écrans, à des pseudonymes. C’est le monde virtuel, dans lequel l’identification du réseau s’avère être un casse-tête.

Et les canaux traditionnels, comment évoluent-ils ?

Comme indiqué, certains pays avancent dans la bonne direction. Mais la tâche reste gigantesque. Prenons l’exemple de la Grèce. Il existe encore une myriade de boutiques qui vendent aussi bien d’authentiques montres que des fausses. Bien sûr, nous intentons des actions contre leurs propriétaires mais ils se défendent. Cela prend énormément de temps. En Turquie, le blocage semble identique, les autorités n’en faisant pas leur cheval de bataille prioritaire. En Italie, cela s’améliore. En un mot, nous pouvons tirer le constat d’ensemble suivant : la répression est locale même si la contrefaçon est globale. Dans d’autres pays que ceux précités, le trafic donne des sueurs froides. Ainsi, à Dubaï, il existe 17, oui j’ai bien dit 17 ports hors taxes où les contrôles sont plus que sporadiques, voire inexistants. Imaginez les millions d’articles contrefaits qui y transitent, que ce soit de l’horlogerie, des médicaments, des objets de luxe. Cela donne le vertige. Mais l’Europe n’est pas davantage épargnée. Récemment, 100 containers de faux ont été saisis à Hambourg. Cela donne la magnitude de la catastrophe.

Cette lutte n'est-elle pas un travail de Sisyphe ?

Je ne suis absolument pas désespéré. Cela prendra du temps, énormément de temps, mais un jour, peut-être, les lois seront respectées. Même les sites Internet devront se réguler. Regardez d’ailleurs comme ils sont sensibles à leur propre propriété intellectuelle. Ils font tout pour se protéger, se défendent bec et ongles. Espérons qu’ils sortent un jour de leur nombrilisme et élargissent aux autres ce genre de vertus. Pour l’instant c’est un peu le Far West.

C'est-à-dire ?

C’est sauvage, violent, même sanguinaire. Une vraie foire d’empoigne. Mais des shérifs vont arriver et peu à peu, l’état de droit va s’imposer. Il faut rappeler que malgré les grands titres de la presse, Internet ne représente qu’un infime pourcentage de l’économie réelle.

On estime le préjudice pour l'horlogerie suisse à quelque 800 millions de francs. Qu'en pensez-vous ?

Je suis un peu mal à l’aise par rapport à ce genre de chiffres. Comment évaluer les dégâts? Quelles répercussions la contrefaçon a-t-elle vraiment? Est-il possible de chiffrer l’atteinte à l’image qui en résulte? J’ai des doutes.

La Suisse en fait-elle assez ?

Notre pays serait censé donner l’exemple. Ne faut-il pas d’abord balayer devant sa porte avant d’aller prêcher la bonne parole dans les autres pays ? Evidemment que oui. Dans de nombreux pays, nous sommes en mesure d’intenter des actions, alors que dans les mêmes circonstances, c’est impossible en Suisse. Cela laisse songeur.

LA CONTREFAÇON, UNE FORME DE VOL QUALIFIÉ

Internet est-il trop libertaire face à la contrefaçon ?

Cela est une évidence que la grande toile a et va encore modifier les modèles d’affaires de très nombreuses activités économiques. Mais cela ne va pas forcément dans le bon sens. Le web s’est mué en un immense outil de ventes qui véhicule des idées de gratuité, de liberté. Ce sont des concepts totalement incompatibles avec les principes de base du commerce. Il suffit de regarder ce qui s’est passé dans l’industrie du disque pour comprendre les dégâts irréversibles de cette approche. On veut changer les modèles d’affaires sans appliquer les lois existantes, votées pour préserver les équilibres entre les intérêts des différents acteurs économiques.

Et pour l'horlogerie ?

C’est le même risque. Il a fallu des années, voire des siècles pour parvenir à la rareté, à l’exclusivité, à la qualité aujourd’hui atteintes par les marques. Sans parler du fait qu’il a fallu s’entourer des meilleurs spécialistes, mettre en place des boutiques dans lesquelles on retrouve l’environnement de la marque. Et que dire de l’exceptionnel savoir-faire des horlogers. C’est un travail minutieux. Une montre a donc un prix. Et que se passe-t-il avec Internet ? On se retrouve face à un même écran, face à des gens qui se cachent, qui n’ont rien créé, qui vendent des produits sans que le consommateur sache s’il s’agit d’un vrai ou d’un faux, sans avoir même la garantie de recevoir le produit en question. Nous sommes confrontés à une mise en scène virtuelle. Ces gens ont devant eux des assiettes vides et veulent s’emparer de ce qu’il y a dans celle de leur voisin. C’est du vol qualifié.

Le marché de la contrefaçon sur Internet se déplace-t-il vers les sites de ventes aux enchères ?

En grande partie, oui. C’est devenu un allié classique du fraudeur. Nous évoquions préalablement les écrans auxquels nous nous heurtons. Ce genre de sites en représente la manifestation concrète. Tout peut être dissimulé, du vendeur à l’acheteur. On se donne un pseudonyme, avec une fausse adresse. C’est contre ces sites que se focalise désormais notre lutte. Nous faisons face toutefois à leur puissance commerciale et à leur manque de volonté de coopérer. Nous demandons par exemple d’installer des filtres qui empêcheraient de vendre du faux. Mais pour eux, l’intérêt financier prédomine, vu qu’ils perçoivent des commissions sur chaque vente de produits, authentiques ou non.

Est-ce aussi noir que cela ?

Heureusement pas. Nous remportons ça et là des victoires qui vont toutes dans le bon sens. Plusieurs décisions de justice condamnent de manière implacable le faux. C’est ce qui est arrivé en France, au Brésil et en Allemagne par exemple. Aux États-Unis, nous attendons impatiemment une décision liée à la plainte de Tiffany contre Ebay. Elle pourrait faire jurisprudence. La justice est en train de donner un signal clair : la prolifération impunie du faux ne peut se poursuivre et la justice s’intéresse de plus en plus à ces intermédiaires, véritables plateformes de distribution de produits, afin d’établir leur responsabilité.

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