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Couleurs fun et références pop : quand le luxe se délure
Modes & Tendances

Couleurs fun et références pop : quand le luxe se délure

vendredi, 21 mai 2021
Par Laure Gontier
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Laure Gontier

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5 min de lecture

Un cadran reproduisant les icônes fluo d’un jeu Pac-Man ou le moelleux pastel d’un marshmallow… mais sur des montres nettement moins accessibles qu’un jeu d’arcades ou un paquet de guimauves. Fabrication ultra haut de gamme et imaginaire pop : un paradoxe qui raconte un changement profond de notre époque, et de notre rapport au luxe.

Longtemps, les choses ont été plutôt simples : on portait une montre pour avoir l’heure, parce qu’il n’y avait pas toujours un carillon ou une horloge à proximité. La montre était là aussi pour accompagner les défis sportifs, et rester précise même en situation de performance extrême. Il était question d’esthétique, bien sûr, mais dans un cadre purement utilitaire. Personne n’aurait rêvé que l’objet fasse en plus sourire, comme aujourd’hui la montre Super Mario Bros de la défunte RJ ou la Wings of Light de Piaget en saphirs aux couleurs Dragibus. Il faut dire qu’ailleurs, dans les hautes sphères du luxe, le fun n’était pas non plus de mise. Le luxe, c’était ce fameux objet rare et cher qui exprimait un savoir-faire, affichait un statut, racontait un bon goût intemporel et n’allait pas lorgner des références « cheap » (à une époque où le mot ne rimait pas encore avec « chic »). Un pull à tête de labrador, un tee-shirt jaune au logo DHL, un sac en cuir bleu inspiré du fourre-tout Ikea (trois créations signées Balenciaga ces dix dernières années) ? Impensable.

Pac-Man © RJ
Pac-Man © RJ

À quel moment le luxe s’est-il piqué d’être pop ? En 1936, la créatrice Elsa Schiaparelli, proche des surréalistes et habituée à chambouler la garde-robe féminine à coups de détails rigolos, lance son parfum Shocking, dont le flacon est censé reproduire les courbes de l’actrice Mae West – ce qui équivaudrait aujourd’hui à choisir Kim Kardashian. Pile 30 ans plus tard, Yves Saint Laurent dessine des robes en hommage au pop art… mais le pop art, c’était quand même du grand art ! En fait, c’est vraiment dans les années 1980 que la tendance émerge, lorsque se conjuguent le boom d’un cinéma basé sur les explorations galactiques et les créatures fantastiques (Star Wars, E.T.), l’affirmation d’un langage publicitaire bien balancé (Jean-Paul Goude) et l’émergence d’un design d’intérieur follement coloré (le style Memphis). Une nouvelle génération invente ses propres codes, joyeux, régressifs, diffusant une pop culture qui, quatre décennies après, continue de fasciner. Sur les podiums Chanel, le tailleur devient rose bonbon ou jaune canari. En Haute Horlogerie, c’est Gérald Genta qui chamboule le paysage en obtenant une licence exclusive de… Disney. Un geste résolument hors norme à l’époque.

Retro “Mickey Mouse” Phillips © Gerald Genta
Retro “Mickey Mouse” Phillips © Gerald Genta

Avant-gardistes, ses modèles à l’effigie de Mickey, Minnie ou Donald ont depuis été rejoints par Popeye et Snoopy chez Rolex et Omega, ou par la clique des superhéros : Flash Gordon et Batman, toujours chez Rolex, Spiderman et The Joker chez RJ, War Machine et Black Panther chez Audemars Piguet. Une démultiplication qui s’explique en un mot (ou deux) : réseaux sociaux. Car, à l’aube des années 2000, tout s’apprête à changer dans le luxe. Les marques étaient habituées à une clientèle en costume ou en tailleur haute couture ? Voici que débarque une génération de milliardaires issue de l’industrie des loisirs ou de la tech, pour qui le sportswear fait office d’uniforme. Les grandes Maisons cultivaient une parole rare et distanciée ? Elles vont devoir se plier à l’ère de l’instantanéité et au diktat de l’image. Une course aux « Like », une concurrence effrénée qui enterre toute velléité de profil bas ou de minimalisme. La mise en avant du savoir-faire, c’est bien, le spectaculaire qui pique les yeux, c’est mieux. D’autant que, le moral plombé par une crise lancinante (on parle là du monde pré-Covid, dont on a oublié qu’il n’était déjà pas si rose), le consommateur affectionne les références-doudous : personnages de son enfance, nourritures réconfortantes (d’où la délicieuse collection Bonbon de Richard Mille), groupes iconiques (les Rolling Stones sur l’El Primero de Zenith)… Une information chassant l’autre, une image Instagram balayant les précédentes, le renouvellement se doit d’être incessant.

Mademoiselle J12 Acte II © Chanel
Mademoiselle J12 Acte II © Chanel

La technologie a chamboulé l’air du temps et, au passage, fait de la montre un objet… moins indispensable. Pourquoi porter une montre lorsque l’heure est lisible à tout moment sur son smartphone, le seul accessoire qui ne soit pas attaché au corps et qui, pourtant, ne quitte jamais son propriétaire ? Les fabricants ont vite compris que, pour continuer à séduire une population connectée, il fallait véhiculer autre chose que de l’utilité. Chez Chanel, cela peut consister à twister la J12 en lui accrochant une mini-figurine à l’effigie de Gabrielle, semblable à un gris-gris que l’on achèterait dans un bazar – sauf que celui-là est soit en céramique noire et or blanc, soit en diamants. Ou à réviser le bracelet de sa Première en l’entrelaçant de fils de cuir aux couleurs électriques, rappel des scoubidous de l’adolescence.

Collant à une esthétique du zapping et du mix and match plutôt qu’à un désir de pièces statutaires et pérennes, ce pop luxe raconte notre époque : nostalgique, inclusive, accro à la disruption et au buzz, avide d’amusement et d’insouciance, fonctionnant au coup de cœur. Jusqu’où la Haute Horlogerie suivra-t-elle cette frénésie de fun ? À quand les montres à l’effigie de Barbie, ou, plus fou, d’un emballage McDonald’s ou d’un paquet de corn flakes, comme l’a osé Moschino pour ses sacs à main ?!

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