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Des vaches grasses aux vaches maigres
Points de vue

Des vaches grasses aux vaches maigres

lundi, 26 septembre 2016
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Franco Cologni
Président du Comité Culturel de la FHH

“Le talent nécessite toujours de l’effort, de l’engagement, des heures passées à perfectionner un geste qui devient, jour après jour, un don.”

Entrepreneur dans l’âme, Franco Cologni, pourtant homme de lettres, s’est rapidement lancé dans les affaires pour devenir un personnage clé du groupe Richemont.

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6 min de lecture

Dans les années de croissance folle, les Maisons se sont laissé dominer par leur ego en oubliant leur bien le plus précieux : leur identité. Maintenant que les temps sont devenus difficiles, cet écho de l’ego a de lourdes répercussions.

À l’instar de l’humaniste Michel de Montaigne, qui un jour préféra quitter la Cour pour se vouer à ses études et à la philosophie, j’ai eu à mon tour l’opportunité, après tant d’années de combat en première ligne, de me créer un poste d’observation et d’investigation privilégié sur la culture, en particulier la culture liée au monde splendide et complexe de la Haute Horlogerie. Et en m’inspirant justement de Montaigne, j’ai eu moi aussi l’envie de désapprouver certaines doctrines rigides et quelques-unes de ces certitudes aveugles qui ont régi l’industrie horlogère ces dernières années, aboutissant aujourd’hui à des résultats peu brillants. À ce stade, je me rappelle le rêve de Pharaon dans la Genèse, sept ans de vaches grasses suivis de sept ans de vaches maigres, que j’ai déjà évoqué parfois et qui est plus actuel que jamais.

Plus que jamais, on assiste à la règle duale : le produit et le client.
Franco Cologni

Si je jette un coup d’œil sur l’analyse statistique pour la période janvier-juillet 2016 des exportations de montres suisses, je remarque avec préoccupation un certain nombre de données qui disent tout : par exemple, dans la gamme des prix à l’exportation dépassant les 1 500 francs (soit le prix « ex factory »), la valeur portant sur ces sept premiers mois est en net recul. Est-ce le symptôme de quelque chose ? À mon avis, c’est l’écho de l’ego. Dans les années de croissance folle, les Maisons se sont laissé dominer par leur ego en oubliant leur bien le plus précieux : leur identité. Maintenant que les temps sont devenus difficiles, cet écho de l’ego a de lourdes répercussions. Comme le rapportent les analystes, les « doctrines rigides et les aveugles certitudes » qu’évoquait Montaigne, soit les stratégies marketing fondées non sur le client mais sur des perspectives peu durables, présentent la facture.

J’espère que la réplique des Maisons ne se fera pas trop attendre. J’espère surtout qu’on ne se contentera pas de tailler et de recoudre, comme d’habitude, mais que chaque choix sera évalué et pondéré sur la base d’une saine consolidation, culturellement visionnaire à moyen et long termes. Pensons à la communication, notamment : il me semble que la publicité de bien des Maisons n’a pas changé depuis un an. Je vois des campagnes qui ne semblent pas en mesure de conférer au produit l’estime nécessaire, voire indispensable, pour réveiller un client désormais toujours plus prudent dans ses achats. Et pour le rassurer quant à la certitude que derrière l’objet il y a une valeur (intrinsèque) et des valeurs (éthiques et esthétiques, donc culturelles). Plus que jamais, on assiste à la règle duale : le produit et le client.

© Re Up

En effet :
– Dans le segment de prix allant de 1 500 à 3 000 francs, le résultat s’affiche en baisse de 5 %. Acceptable compte tenu de la conjoncture. Il en va de même dans celui compris entre 3 000 et 6 000 francs, en recul de 6 %. En somme, des fluctuations du système prévisibles et prévues. Pour les Maisons de Haute Horlogerie s’ouvre un espace intéressant : l’acier, qui se prête aux innovations techniques les plus simples (voyez le chronographe) et aux plus précieuses avec des diamants.
– Le signal d’alarme s’adresse au segment des montres exportées coûtant plus de 6 000 francs qui connaît une baisse de 15,5 % pour une valeur de 4,5 milliards sur un total d’exportations de 10,5 milliards. Prenons garde à ce que la pente ne soit pas trop raide, avec le risque de se faire très mal.
– Pour l’heure, la descente semble ne jamais prendre fin, en dépit des résultats apparemment obtenus au Salon International de la Haute Horlogerie de Genève et à Baselworld.

© Re Up

Ces réflexions sur le fléchissement des ventes sont liées à un autre constat : la fuite en avant des prix pratiquée dans presque tous les secteurs de la Haute Horlogerie. Il y a bien sûr une corrélation entre les prix et l’appréciation du franc suisse. Mais si le client demeure au centre de notre attention, nous devons bien constater que les tensions globales (politiques, économiques, sociales et même morales) mettent à rude épreuve le désir d’investir dans ce type de biens.

En considérant les exportations par pays, l’affaiblissement des flux touristiques, sûrement influencés par des craintes liées à la sécurité, est synonyme de souffrance chez les concessionnaires, même les meilleurs et surtout les Européens. Leur niveau de stock est à mon avis financièrement lourd. Cela pourrait les inciter à des politiques de rabais qui se révèlent toujours dommageables. Avec le risque de voir des revendeurs de moins en moins fidèles à leur rôle d’ambassadeurs.

L’empathie est la première valeur à promouvoir face à celui qui est le seul et vrai juge : celui qui achète.
Franco Cologni

Je sais que toutes les plus grandes Maisons ont les moyens de s’adapter à de telles secousses. Mais j’espère aussi qu’elles repenseront leur ego et s’inspireront, comme le disait Montaigne avec sagesse, des valeurs du doute et de l’investigation quant à leur identité. Parmi les plus petites Maisons, celles qui savent préserver avec intelligence le contact avec le client et qui s’évertuent à soigner cette relation seront à coup sûr les plus épargnées. Pour ce qui est des marques les plus récentes, le risque économique est très élevé, par manque d’oxygène.

Le temps, ce n’est pas que de l’argent, c’est aussi de la patience et du sacrifice. Le moment que nous traversons exige un nouveau modèle de développement et de communication qui comporte ces valeurs, réduit les dépenses inutiles et reporte l’attention sur le client. En se rappelant que l’empathie est la première valeur à promouvoir face à celui qui est le seul et vrai juge : celui qui achète.

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