À chaque rencontre, François-Henry Bennahmias, CEO d’Audemars Piguet, affiche un optimisme indémontable. Et pour cause, celui qui mène ses équipes comme un coach sportif est en effet l’un des rares patrons horlogers à gérer la croissance et non pas à freiner la chute. Alors que la branche est en souffrance, Audemars Piguet embauche une centaine de personnes et construit musée et hôtel. Mais parlons chiffres. « Nous faisons en effet partie des quelques marques horlogères qui s’en sortent bien, expliquait-il dans un récent entretien accordé au magazine alémanique Bilanz. En 2016, nous avons ainsi franchi le seuil des 900 millions de francs de chiffre d’affaires avec une production stable de 40 000 pièces. Pour les cinq prochaines années, il est d’ailleurs hors de question de pousser la production, pas plus qu’il n’est question d’augmenter les prix. La croissance vient notamment du fait que nous vendons davantage nos montres via le réseau de nos propres boutiques, ce qui nous permet de récupérer la marge du détaillant. »
En 2011, nous avions 540 boutiques qui proposaient nos montres dans leur assortiment. L’objectif est de descendre à 250.
Et le patron d’une des rares entreprises du secteur encore en mains familiales de détailler : « Nous récoltons aussi les fruits des décisions prises ces dernières années qui ont consisté essentiellement à mettre de l’ordre dans la Maison. Nous avons aussi beaucoup travaillé à l’amélioration de la qualité des produits et des livraisons. Un exemple : ce que nous présentons en janvier au Salon international de la Haute Horlogerie (SIHH), nous sommes en mesure de le livrer immédiatement. Avant, il fallait généralement attendre jusqu’en octobre. Dans le même ordre d’idées, nous avons réduit le nombre de modèles et de détaillants. En 2011, nous avions 540 boutiques qui proposaient nos montres dans leur assortiment. Aujourd’hui, il en reste 320. L’objectif est de descendre à 250. À cela s’ajoute le fait que nous avons créé des produits qui ont été très bien acceptés par le marché. Les clients apprécient par ailleurs qu’Audemars Piguet n’ait pas vendu son âme au diable pour faire du volume. »
Le prix n’est pas un problème
François-Henry Bennahmias n’en dira pas plus sur les ingrédients de sa « recette ». Mais l’optimisme qu’il affiche en ce qui concerne l’entreprise qu’il dirige, il le nourrit également pour l’ensemble du secteur : « L’industrie horlogère suisse réalise bon an mal an un chiffre d’affaires d’environ 20 milliards de francs. Si l’on y ajoute les marges des différents intervenants, on obtient des ventes annuelles au client final de l’ordre de 50 milliards. La comparaison avec les 180 milliards de Mercedes montre bien que nous sommes des nains. Maintenant, regardons le marché, soit 30 à 40 millions de personnes qui sont à même d’acheter une montre de luxe produite par l’industrie horlogère suisse. En face, Audemars Piguet et ses 40 000 montres ou encore les quelque 600 000 montres haut de gamme produites par les Maisons de Haute Horlogerie. Si j’observe ces chiffres avec le potentiel du marché, en d’autres termes ce que nous sommes en mesure de produire avec le nombre de clients potentiels, la conclusion s’impose : nous avons encore de très belles années devant nous. Il s’agit maintenant de comprendre et savoir comment atteindre ces 30 à 40 millions de personnes. Et les prix n’ont rien à voir là-dedans. Lors du SIHH, j’ai entendu tellement d’idioties en ce qui concerne le prix des montres suisses, qui serait devenu un réel problème. Sottise ! Dans l’univers du luxe, on parle d’émotion, pas de prix. Si le produit est bon, le prix est accepté. »
Parmi les 40 millions de clients potentiels dont j’ai parlé, nombreux sont ceux qui ne connaissent pas la Royal Oak.
Et la montre connectée, la Maison y songe-t-elle ? « Nous réfléchissons dans toutes les directions, poursuit François-Henry Bennahmias. Nous avons en effet toujours plusieurs fers au feu. Mais avant de trouver la Royal Oak du prochain millénaire, faisons de la Royal Oak actuelle un produit véritablement ultime. Et là, le travail est encore colossal. Combien de personnes ne savent pas encore ce qu’est une Royal Oak ? Parmi les 40 millions de clients potentiels dont j’ai parlé, nombreux sont ceux qui ne connaissent pas la Royal Oak. Or, pour les atteindre, nous devons aujourd’hui nous adapter aux nouveaux moyens de communication. Le monde numérique et les réseaux sociaux sont devenus hyper importants. De nos jours, il est indispensable de les intégrer dans toute campagne publicitaire ou lancement de produit. » Là aussi, tout est question de qualité.