La rumeur a enflé à un tel point que Patek Philippe et son patron Thierry Stern se sont vu obligés de la confirmer en avril dernier, annonçant la mort programmée pour cette année 2021 de la mythique Nautilus 5711/1A en acier. Lot de consolation présenté lors du récent Watches and Wonders Geneva, la Maison dévoilait ce qui sera donc sa dernière itération, soit la référence 5711/1A-014 dotée d’un cadran vert olive « soleil », modèle qui remplace la version précédente avec cadran bleu dégradé noir en collection depuis 2010.
On ne présente plus la Nautilus, montre mythique née en 1976 sous la patte du génial Gérald Genta, tout comme la Royal Oak quatre ans plus tôt. Ces deux modèles inauguraient en effet une toute nouvelle tendance de la montre sport chic avec bracelet intégré dont l’acier valait son pesant d’or. « Lancée en 1976, la Nautilus a créé la surprise par de nombreux aspects, rappelle Patek Philippe. Le choix de l’acier, un métal alors inédit pour une montre de luxe. Une lunette octogonale aux angles adoucis, bien loin des designs habituels. Une construction de boîtier inspirée d’un hublot de bateau. Une robustesse hors pair et une étanchéité à 120 mètres – un exploit à l’époque pour une montre de série. Et une belle alternance de finitions polies et satinées soulignant l’originalité des formes. »
Après des débuts relativement lents mais prometteurs, la Nautilus a progressivement imposé son style au point de devenir un modèle mythique, légèrement retouché en 2006 pour les 30 ans de la collection et doté depuis 2019 du calibre automatique 26-330 SC avec stop-seconde. Au sein d’une collection pour homme et femme qui compte une trentaine de références et intègre cinq modèles à complication, la référence 5711/1A est toutefois restée le modèle phare et de loin, au point que la liste des intéressés n’a cessé de s’allonger auprès de la Maison pour représenter aujourd’hui une attente de… 12 ans. Une situation par trop caricaturale pour Thierry Stern, qui n’a cessé d’insister sur le fait que Patek Philippe ne se résumait pas à ses Nautilus. Depuis 2019, le message, savamment distillé, a pris consistance. Dès lors, la Nautilus en acier était condamnée.
Reste à évaluer les conséquences de ce sabordage. Une chose est sûre, les observateurs ne sont pas loin d’applaudir. « La décision par Patek d’abandonner son modèle le plus emblématique pourrait être l’une des stratégies les plus intelligentes de tous les temps, explique dans Jing Daily Daniel Langer, parton de la société Équité, spécialisée dans les stratégies du luxe et professeur à la Pepperdine University, Californie. Non seulement elle crée un battage médiatique sans précédent autour de la marque, mais elle permet également à Patek Philippe d’évaluer la vraie valeur du produit sur le marché secondaire, soit autant de précieuses informations lorsqu’il s’agira d’introduire le successeur de la 5711/1A à un prix potentiellement plus élevé, confirmant ainsi la position de leader de la Maison dans la Haute Horlogerie. »
Sur cette question, le doute n’est pas permis. Alors que la dernière Nautilus référence 5711/1A-014 avec cadran vert est proposée en boutique à CHF 29’500 ($ 34’000), le prix des versions précédentes sur le marché d’occasion tournait déjà autour de CHF 70’000 avant l’annonce officielle d’arrêt de production. Depuis, c’est la folie. La barre des CHF 100’000 a été allègrement franchie avec une valeur moyenne qui tend inexorablement vers les CHF 150’000. « Ce n’est pas encore le bitcoin, mais admettez qu’il est plus probable que vous trouviez un acheteur pour votre Patek Philippe Nautilus 5711-1A dans cinq ans que pour vos bitcoins… à la valorisation actuelle », note sur son blog Olivier Müller, fondateur de LuxeConsult.
Reste à gérer la grogne de tous ceux qui ont déjà attendu des années pour leur Nautilus 5711 et qui ne verront rien venir. Ou peut-être, en priorité, la future 6711, dont les contours sont pour l’instant on ne peut plus flous. Mais là également, Patek Philippe ne semble avoir guère de soucis à se faire. Comme le note encore Oliver Müller à propos de cette communication lacunaire voulant que l’on annonce la fin d’un produit sans dévoiler le modèle de substitution : « Non seulement Patek Philippe a réussi à créer le buzz chez tous les collectionneurs, mais elle garde le statut d’une marque de luxe absolu qui peut se permettre de choisir ses clients. » Peut-être faudra-il faire de la liste d’attente une institution. Avec des places aux enchères… !