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La « prospérité commune » de la Chine
Economie

La « prospérité commune » de la Chine

mercredi, 8 septembre 2021
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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9 min de lecture

Le discours de Xi Jinping sur la « prospérité commune » a causé une petite déflagration en Bourse. Susceptible de rogner le pouvoir d’achat des riches contribuables, cette nouvelle politique a fait plonger la cotation des compagnies du luxe, horlogers compris. Une nouvelle redistribution des cartes à la clé ?

Il n’y a pas si longtemps, le dicton voulait qu’à chaque éternuement de Wall Street les bourses de la planète s’enrhument. Depuis quelque temps toutefois, le thermomètre se situe nettement plus à l’est. En d’autres termes, c’est le vent venu de Chine qui, souvent, souffle le froid et le chaud sur les cotations, du moins sur celles des compagnies du luxe. On a d’ailleurs clairement pu s’en rendre compte en août dernier. Rien de fortuit dans ce nouveau rôle de démiurge : l’Empire du Milieu est devenu le premier marché mondial du luxe avec une part de gâteau qui devrait dépasser les 50 % à plus ou moins brève échéance. Pour les plus optimistes, cette date fatidique sera en 2023 déjà. Les pessimistes, en revanche, placent le curseur nettement plus loin, confortés qu’ils sont dans leur jugement par les récentes déclarations de Xi Jinping. C’est en effet le 17 août dernier, à l’issue d’une réunion du comité central pour les affaires financières et économiques, que le président chinois lâchait ces mots lourds de sens : « La prospérité commune est une exigence essentielle du socialisme et une composante clé de la modernisation aux caractéristiques chinoises. »

Le fossé des inégalités

La « prospérité commune », et ce que le concept implique en termes de redistribution des richesses, aura-t-elle donc raison de l’appétence pour les produits de luxe du consommateur chinois au revenu disponible potentiellement rogné ? Le fait est que la formidable marche en avant de l’économie chinoise a créé un fossé des inégalités qui n’est pas sans rappeler celui des États-Unis. Selon l’étude annuelle du Credit Suisse, 1 % des Chinois les plus riches détiennent ainsi 30,6 % de la richesse nationale. Le pays compte aujourd’hui plus de 1 000 milliardaires, plaçant la Chine en tête du classement mondial qui recense les très grandes fortunes, alors que 600 millions de Chinois vivent encore avec 150 dollars par mois (1 000 yuans), comme vient de le rappeler le premier ministre Li Keqiang. Dans ce contexte, les mesures prises par le gouvernement en 2020, déjà à l’encontre de certains géants technologiques, accusés de positions dominantes, tout comme ses critiques vis-à-vis des sociétés de livraison à domicile, pointées du doigt pour l’exploitation de millions de travailleurs, montrent bien que les objectifs de prospérité commune sont à prendre au sérieux.

À la suite de l’annonce de Xi Jinping, la cotation des géants du luxe a subi une correction de l’ordre de 10 %.

En tout état de cause, la Bourse n’a pas tardé à réagir. Durant les quelques jours qui ont suivi l’annonce de Xi Jinping, la cotation des géants du luxe a subi une sévère correction de plus de 10 %. Ce plongeon boursier, qui démontre suffisamment la sensibilité épidermique des marchés financiers à ce type de nouvelle, n’en est pas moins à remettre dans le contexte d’une folle envolée des cours de ces compagnies. Si l’on prend l’exemple de Swatch Group et Richemont, on observe en effet que les actions de ces deux groupes ont connu une progression de 27 % et 45 %, respectivement, entre janvier et début août 2021, contre à peine 13 % sur l’indice SMI de référence. Il n’en fallait guère plus pour inciter les investisseurs à prendre leur bénéfice en attendant que les intentions chinoises se précisent. Car si le ton est donné, les moyens restent encore flous entre les outils à disposition du gouvernement comprenant une réforme de la grille de l’impôt sur le revenu, l’instauration d’un impôt sur la fortune et/ou sur les plus-values, la mise en place d’une taxe foncière et/ou de droits de succession, un plafonnement des hauts salaires…

Premier marché horloger

Pour les horlogers, inutile de dire que la réponse à ces questions ainsi que les conséquences attendues sur la consommation sont de première importance. On rappellera que sur les six premiers mois de l’année, si les exportations de la branche ont réussi à combler le trou du Covid-19, affichant un niveau comparable au premier semestre 2019 à CHF 10,6 milliards, c’est essentiellement grâce à la Chine. Par rapport aux six premiers mois de 2019 – les résultats 2020 n’offrant pas une base comparative pertinente –, les expéditions de montres suisses vers cette destination ont ainsi bondi de 62 % ! Une tendance qui n’a pas faibli en juillet, un mois durant lequel les exportations vers la Chine ont encore progressé de 75 % par rapport à 2019. Dans ce contexte, les propos du président ont agi comme une douche froide. Et le léger ralentissement de l’économie chinoise observé au deuxième trimestre, soit une croissance du PIB en dessous des attentes à 7,9 %, contre une progression de 18 % entre janvier et mars de cette année, vient aujourd’hui alimenter l’anxiété boursière.

À la suite des mesures anti-corruption prises en Chine, l’ampleur de la correction boursière est restée faible, n’excédant pas 17 %.

Comme l’expliquent les analystes, les baisses enregistrées sur les cours boursiers reflètent celles attendues sur les ventes et les bénéfices des sociétés concernées. « Il y aura donc forcément une période d’incertitude, ce qui n’est pas propice à une grande augmentation de la performance du luxe », commente Jon Cox, de Kepler Cheuvreux. Reste que la communauté financière n’affiche pas un même pessimisme. D’autant que les points de comparaison ne sont pas forcément alarmistes. On se souvient en effet qu’à fin 2013 Xi Jinping avait introduit des mesures concrètes anti-corruption qui n’avaient pas été sans répercussions sur l’industrie du luxe en général et sur les horlogers en particulier. Or, durant les deux années de « crise » qui ont suivi, l’ampleur de la correction boursière était restée faible, n’excédant pas 17 %. « Si le gouvernement chinois décide de taxer plus fortement les ménages aisés, la consommation de produits de luxe pourrait ralentir, explique Atlantic Financial Group. Cependant, celle-ci pourrait être compensée par une croissance plus forte de la classe moyenne ayant un niveau de vie suffisant pour acheter des articles de marque. »

« Une croissance sans précédent »

Un avis pleinement partagé par Daniel Langer, professeur à la Pepperdine University de Malibu et CEO d’Equité, spécialisé dans les stratégies du luxe : « Au cours des deux dernières années et demie, pratiquement toute la croissance du luxe est venue de Chine. Et ce sont les jeunes consommateurs chinois, milléniaux et génération Z, des personnes riches, très éduquées et à l’esprit d’entreprise, qui ont été la force motrice de ce boom. Cela ne va pas changer du jour au lendemain. En fait, 400 millions de consommateurs supplémentaires vont passer d’une situation à faibles revenus à celle de la classe moyenne ou supérieure au cours des 10 à 15 prochaines années. Et ces nouveaux clients auront un impact significatif sur la croissance du marché chinois du luxe. Sans oublier les régions touristiques, les zones de loisirs et hors taxes comme Hainan qui vont alimenter la consommation de produits de luxe lorsque les frontières seront à nouveau ouvertes dans environ un an. Même si l’inégalité des richesses est combattue par des mesures fiscales ou réglementaires, cela ne changera pas les perspectives du marché chinois du luxe à long terme. Nous allons assister à une croissance sans précédent au cours de la prochaine décennie et au-delà. »

Il sera difficile de déloger la Chine de sa première place du classement des principaux marchés d’exportation des montres suisses.

Dans l’immédiat, les horlogers ont un autre point d’appui à faire valoir. Depuis le début de l’année, le marché américain fait preuve d’une vigueur surprenante avec une hausse des exportations de 22 % sur le premier semestre et encore de 48,5 % en juillet dernier, en même temps que le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne redressaient la tête. Cette évolution milite-t-elle pour une nouvelle répartition des forces ? Une chose semble toutefois acquise. Avec comme objectif de rendre la Chine moins dépendante de ses exportations et plus axée sur la consommation comme moteur de croissance, le gouvernement du pays ne va certainement pas changer radicalement de cap. Dans ce contexte, il sera probablement difficile de déloger la Chine de sa première place du classement des principales destinations pour les montres suisses. Rappelons qu’il y a 15 ans à peine l’Empire du Milieu pointait à la dixième place du même classement avec CHF 351 millions. Un montant multiplié par cinq à pratiquement 2 milliards en 2019.

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