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L’autre pays des métiers d’art
Regards de connaisseurs

L’autre pays des métiers d’art

lundi, 4 juillet 2016
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Fabrice Eschmann
Journaliste indépendant

“Il faut se méfier des citations sur Internet !”

« Une grande histoire aux multiples auteurs : ainsi en est-il de la vie. Ainsi en va-t-il aussi de l’horlogerie. Sans rencontres, point d’histoire. »

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8 min de lecture

Les techniques de décoration japonaise ont fait une percée remarquée dans l’horlogerie suisse ces dernières années. Des collaborations qui mettent en évidence un certain nombre de valeurs partagées, à commencer par le souci du détail et le travail bien fait.

Elles ont des noms qui invitent au voyage : Mokumé-gané, Aka-é, Urushi, Maki-é. Les techniques ornementales japonaises – en voie de disparition pour la plupart – font depuis quelques années une percée remarquée dans l’horlogerie suisse. Délaissant pour un temps leurs métiers d’art traditionnels que sont le sertissage, l’émaillage, la gravure ou encore le guillochage, une demi-douzaine de maisons helvétiques ont en effet tissé des liens avec de grands maîtres japonais, détenteurs de savoir-faire ancestraux, considérés chez eux comme des « trésors nationaux vivants ». Des collaborations souvent induites par le hasard, toujours portées par des affinités naturelles au rang desquelles l’obsession du détail. Dernier exemple en date : le cadran du modèle Premier Precious Weaving Automatic 36 mm d’Harry Winston qui utilise le Raden, une technique de tissage japonais mêlant fil d’or et éclats de nacre. Au-delà du succès commercial grandissant de ce genre de mariage culturel, les artisans suisses semblent avoir trouvé au Japon leurs alter ego dans l’univers des traditions minutieuses.

Un pionnier nommé Engelbarts

Le premier à avoir introduit l’art japonais dans l’horlogerie fut certainement Kees Engelbarts. Hollandais d’origine, il s’installe à Genève à la fin des années 1980, après une formation de graveur aux Pays-Bas et en Allemagne. Dès 1997, il signe ses propres montres en utilisant ce que personne n’avait encore jamais employé avant lui : le Mokumé-gané. Recette métallurgique nippone se traduisant littéralement par « métal au grain de bois », cette technique consiste à associer différents matériaux dont les températures de fusion ne sont pas les mêmes. Il en résulte une matière laminée qui, curieusement, prend l’apparence des veinages du bois. Développée à l’origine pour la fabrication des sabres japonais, cette méthode se retrouve, aujourd’hui, très souvent dans le domaine de la bijouterie. « J’ai appris à travailler le Mokumé-gané lors de mon apprentissage, souligne Kees Engelbarts. Je suis allé une vingtaine de fois au Japon, mais jamais pour me former. Par contre, je rends visite à des collègues pour observer leur manière de travailler. »

Il faudra cependant attendre presque une quinzaine d’années supplémentaires pour que la démarche du Hollandais donne des idées à d’autres. En 2010, déjà très portée sur les métiers d’art, Vacheron Constantin est la première manufacture à mettre en valeur l’art du Maki-é : sur de la laque artisanale encore fraîche, l’artisan vient saupoudrer de la poudre d’or de manière à créer un motif. Littéralement, « Maki-é » signifie d’ailleurs « image semée ». « Nous sortions juste de la collection Métiers d’Art “Les Masques”, se souvient le Directeur artistique Christian Selmoni. Ces pièces avaient eu un retentissement bien au-delà des cercles de l’horlogerie. Et un jour, une des plus anciennes maisons japonaises de laques, Zôhiko, nous a contactés pour nous proposer une collaboration. C’est comme ça que tout a démarré ! » La série Métiers d’Art « La Symbolique des Laques » a ensuite été déclinée sur trois ans, chaque année donnant naissance à un nouveau coffret de trois montres en série limitée de 20 exemplaires.

Le résultat a tellement plu, à nous comme au public, que nous avons développé une collection.
Guy Bove
Communauté d’esprit

L’année suivante, c’est au tour de Chopard de présenter une collection japonisante : L.U.C XP Urushi. Ce terme désigne l’arbre rare ne poussant plus qu’au Japon et en Chine, duquel est extraite la sève qui sert à la fabrication de la laque. Sur celle-ci est ensuite également appliquée la technique du Maki-é. « Quelques pièces avaient été réalisées en 2008 déjà par le Maître Kiichiro Masumura pour une exposition au Japon, explique Guy Bove, ancien Directeur de création Chopard, aujourd’hui consultant. Il s’agissait alors de mettre en valeur les montres Chopard à travers quelque chose qui parle aux Japonais. Mais le résultat a tellement plu, à l’interne comme au public, que nous avons décidé d’en faire une collection. » La dernière pièce, la L.U.C XP Hurushi « Year of the Monkey », a été présentée à Baselworld cette année.

Il règne la même ambiance dans les ateliers suisses et japonais. On y oublie le temps.
Kari Voutilainen

En 2011 également, Kari Voutilainen, pourtant puriste de la tradition horlogère suisse, fait aussi le grand saut. Cette année-là, il présente le premier modèle d’une collaboration entre ses ateliers du Val-de-Travers et le studio Unryuan, situé à Wajyma, minuscule village de pêcheurs à l’est de Tokyo. Dirigé par le « Trésor national vivant » Tatsuo Kitamura, l’atelier perpétue lui-aussi l’art du Maki-é. Mais en plus de la poudre d’or et de la laque, ses artisans manipulent des feuilles d’or (Jyunkin-itakane), des coquilles de turbo vert (Yakou-gai) et d’ormeau de Nouvelle-Zélande (Awabi-gai). Le résultat est une micromosaïque, chaque fois différente, aux couleurs irisantes. « C’est un ancien étudiant japonais du Wostep, où j’ai enseigné de 1999 à 2002, qui m’a présenté à Tatsuo Kitamura, explique Kari Voutilainen. Si j’avais simplement téléphoné, il n’aurait jamais accepté de me recevoir. Il faut être obligatoirement recommandé. » Un premier contact qui donnera naissance à un respect réciproque et des créations communes – six à ce jour. « Ce qui est important pour moi, c’est l’éthique, les valeurs fabuleuses qui se cachent derrière cet art japonais, poursuit Kari Voutilainen. C’est pour cette raison qu’il règne la même ambiance dans nos deux ateliers. On y oublie le temps. »

Question de traditions

Une rencontre hors du commun, il en a été question aussi chez Hermès. Lorsque la maison présente en 2015 son modèle Slim d’Hermès Koma Kurabé, celui-ci est autant le fruit du hasard que le résultat d’une curiosité mutuelle. « Invitée par les autorités japonaises, une petite délégation d’Hermès s’est rendue à Kanazawa en 2010 afin d’y découvrir l’artisanat local, raconte Philippe Delhotal, Directeur de la création et du développement. C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance du Maître Buzan Fukushima, spécialiste de l’Aka-é, la peinture japonaise sur porcelaine. Lorsque je lui ai demandé s’il était intéressé pour réaliser des cadrans de montre, il a été très honoré. » Deux années de recherche supplémentaires ont cependant été nécessaires avec, finalement, le choix de la porcelaine de Sèvres comme support, une porcelaine moins poreuse que la Japonaise. Obtenu par la réduction en poudre d’oxyde de fer, le pigment si spécifique prend la couleur de la terre de Sienne. Pour cette pièce, le Maître a reproduit une scène du Koma Kurabé, un concours hippique organisé une fois par an dans le temple Kamigamo, édifié en 678 à Kyoto.

Malgré la langue, nous nous comprenions mieux qu’avec quelqu’un qui fait de la galvano juste à côté.
Christian Selmoni

Très en vogue actuellement dans l’horlogerie, les métiers d’art se sont passablement développés ces dernières années, amenant parfois à la résurgence de techniques oubliées. Mais grâce à une certaine « ouverture d’esprit », selon Guy Bove, des horlogers ont eu le courage d’explorer d’autres horizons, plus lointains. Le Japon leur tendait les bras. « J’ai tout de suite été impressionné par le souci du détail, la qualité du travail. C’est proprement renversant », s’enthousiasme Kari Voutilainen. « Les Japonais ne parlaient pas l’anglais, nous ne parlions pas le japonais, mais nous nous sommes mieux compris qu’avec un spécialiste de la “galvano” installé juste à côté, se rappelle Christian Selmoni. Une expérience très enrichissante. » Et de conclure : « Collaborer avec les horlogers suisses, c’est un moyen pour eux de faire perdurer leurs traditions. »

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