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Le jeu des chaises musicales
Points de vue

Le jeu des chaises musicales

mardi, 12 novembre 2019
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Franco Cologni
Président du Comité Culturel de la FHH

“Le talent nécessite toujours de l’effort, de l’engagement, des heures passées à perfectionner un geste qui devient, jour après jour, un don.”

Entrepreneur dans l’âme, Franco Cologni, pourtant homme de lettres, s’est rapidement lancé dans les affaires pour devenir un personnage clé du groupe Richemont.

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5 min de lecture

Que ceux qui ne connaissent pas Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello lèvent la main. Eh, je vois une forêt de mains qui se lèvent ! Bon, maintenant je m’explique mieux, reprenons par le commencement.

Pour ceux qui auraient manqué ce cours à l’école, Luigi Pirandello est un des écrivains, poètes et dramaturges italiens les plus importants du XXe siècle. Prix Nobel de littérature 1934 pour « son renouvellement hardi et ingénieux de l’art du drame et de la scène », il a écrit en 1921 une pièce intitulée Six personnages en quête d’auteur, justement. Il s’agit d’une œuvre méta-théâtrale dans laquelle l’auteur recourt à un expédient où les personnages, conscients de leur rôle, racontent le drame sans toutefois le vivre à fond. Le même mécanisme littéraire a été utilisé plus récemment par Woody Allen dans son film La Rose pourpre du Caire et par George Clooney dans une publicité pour cette célèbre marque de café en capsules que vous connaissez certainement tous.

En quoi tout cela concerne-t-il la Haute Horlogerie ? Ça la concerne dans la mesure où ce qui se passe depuis peu au sein des marques me rappelle tellement Pirandello et sa pièce. Sans oublier de mentionner le « jeu des chaises musicales ». Depuis quelque temps, on assiste en effet chez nous à une sorte de ronde de personnages simili-théâtraux, qui s’alternent à un rythme presque frénétique : un jour dans le costume de l’administrateur délégué, un autre dans celui du directeur général, ou du directeur adjoint, ou encore de quelque autre cadre supérieur. Comme si un marionnettiste s’amusait à les faire jouer aux chaises musicales. Bon, ce petit jeu pourrait peut-être avoir du sens dans l’univers de la mode, puisqu’elle change à chaque saison, en sachant toutefois que jouer au jeu des chaises musicales avec, disons, Karl Lagerfeld eût été suicidaire.

De mon temps, la loyauté envers l’entreprise était honorée, respectée et récompensée.

Il semble néanmoins que ce comportement soit désormais à la mode dans la Haute Horlogerie. Je suis sans doute un dinosaure, mais, de mon temps, la loyauté envers l’entreprise – je dis « loyauté », parce que la fidélité, c’est pour les chiens – était honorée, respectée et récompensée. Il en résultait des carrières méritoires au sein d’une même compagnie, faites d’étapes successives dûment reconnues et récompensées par des cadeaux de valeur qui soulignaient l’importance des compétences acquises au fil du temps, à sauvegarder et à chérir.

Le marketing, une technique nuisible

Dans le domaine de la Haute Horlogerie, le « renouvellement » – ou appelons ça une « mise à la casse » – peut se justifier par la conquête de nouveaux marchés ou par l’extension des activités dans certains secteurs de production ou de distribution. Alors si ce phénomène concerne essentiellement la « structure » des marques, il peut encore être acceptable. Rien de tel quand il se produit aux échelons les plus élevés, du CEO au directeur de création. Dans ces cas, il y a de (gros) risques d’aboutir à l’effet inverse. Ces « sacrifices », qui empêchent tout bon professionnel à approfondir ses expériences et ses compétences, finissent par faire obstacle aux objectifs, aux investissements et aux stratégies à long terme, abandonnés au profit de nouvelles idées imposées par celui qui vient de s’asseoir sur la « chaise musicale ». Jusqu’au prochain arrêt de la musique…

Le marketing ne se borne pas à sous-évaluer les compétences mais engendre une prolifération de sociétés de conseil utilisées comme boucliers.

Cette culture du changement à tout prix naît de la mercatique, une technique tentaculaire et nuisible plus connue sous le nom de marketing. Celle-ci ne se borne pas à sous-évaluer les compétences (notamment culturelles et artistiques) liées au produit mais engendre une prolifération de sociétés de conseil, utilisées par les entreprises comme boucliers au fil des restructurations et du jeu des chaises musicales. Ainsi, quand quelque chose va de travers, c’est la faute des autres avec un conseiller à blâmer.

Dans un écosystème aussi particulier que la Haute Horlogerie (on ne parle pas d’entreprises qui fabriquent des fers à béton, avec tout le respect dû aux fers à béton), on ne change pas pour vivoter et maintenir un standard mais, le cas échéant, pour l’améliorer. N’oublions pas que chaque marque a son histoire, son ADN et, surtout, son capital humain. Et que pour gérer tout cela il faut des connaissances, des compétences, de l’expérience. Et surtout du respect pour ces particularités qui sont le socle du succès présent et de la croissance future.

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