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Le luxe, la biodiversité et la sixième extinction de masse
Economie

Le luxe, la biodiversité et la sixième extinction de masse

jeudi, 27 janvier 2022
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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13 min de lecture

En quelque 500 millions d’années, la vie sur Terre a quasi disparu à cinq reprises. Nous sommes à l’aube de la sixième extinction de masse qui désigne l’homme comme grand responsable. Pourra-t-il quitter le banc des accusés ? L’industrie du luxe doit montrer l’exemple.

« Il n’y a pas de stabilité économique et financière sans le respect de la nature et sans la contribution de la nature, car nos économies en sont dépendantes. C’est pourquoi nous devons faire en sorte que les décisions économiques internalisent les dommages que nos sociétés font subir à la biodiversité. » Avec ces quelques mots prononcés lors du congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) tenu en septembre dernier à Marseille, Christine Lagarde, Présidente de la Banque centrale européenne, a planté le décor. Un décor qui n’a rien de chatoyant et qui est en train de se vider de sa substance. À tel point que les scientifiques n’hésitent plus à parler de sixième extinction de masse. Lors des 500 derniers millions d’années, la vie a pratiquement disparu de la surface de la Terre à cinq reprises. En cause : une intense période de glaciation, le réveil des volcans ou encore la météorite qui s’est écrasée dans le golfe du Mexique il y a 65 millions d’années causant la disparition d’espèces entières dont celle des dinosaures.

Deux siècles avant le néant

Or, aujourd’hui, le scénario est en passe de se répéter. Mais contrairement aux « épisodes » précédents, le seul responsable de cette sixième extinction de masse n’est autre que l’homme. Et comme il fait rarement les choses à moitié, le taux actuel d’extinction des espèces est cent fois plus élevé que lors des vagues précédentes. En cause : la chasse, l’introduction d’espèces invasives, les évolutions climatiques… « Nous touchons à nos standards écologiques. Nous modifions le fonctionnement des océans. Nous changeons la surface de la planète. Nous détruisons des forêts entières et nous basons notre agriculture sur de la monoculture, néfaste pour de nombreuses espèces. Et la liste est encore longue, explique dans un article du National Geographic Elizabeth Kolbert, auteure du prix Pulitzer 2021 La Sixième Extinction. La question que chacun devrait se poser est la suivante : les 7,3 milliards, qui passeront bientôt le seuil de 8, puis de 9 milliards, de gens peuplant cette planète auront-ils assez de place et de ressources pour cohabiter avec toutes les autres espèces ? »

Hindou Oumarou Ibrahim, lauréate des prix Rolex 2021, utilise les connaissances traditionnelles des peuples autochtones pour cartographier les ressources naturelles au Sahel. ©Rolex

La réponse à cette question a potentiellement de quoi alarmer. Un simple coup d’œil dans le rétroviseur suffit d’ailleurs à faire naître les frissons. Selon l’indice Planète vivante du Fonds mondial pour la nature (WWF), entre 1970 et 2016, les populations d’animaux vertébrés ont diminué de 68 %. En moins de 50 ans, plus de deux tiers des mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles et poissons ont ainsi disparu. De même, depuis l’ère préindustrielle, 85 % des zones humides ont été perdues, et sur les 30 dernières années on observe une diminution de 75 % des populations d’insectes. En d’autres termes, si rien n’est fait et au rythme de l’évolution actuelle, dans 200 ans, la sixième extinction pourrait être à son terme, synonyme d’une disparition complète du vivant sur la planète. « Simplement » dit, jamais dans l’histoire de l’humanité le vivant n’a été aussi menacé. Résultat : le combat pour la préservation de la biodiversité revêt une urgence aussi grande que la question climatique, deux phénomènes parfaitement indissociables dans la mesure où la biodiversité agit comme un gigantesque régulateur de climat. Plus les océans s’acidifient, plus la déforestation prend de l’ampleur et plus le réchauffement sera difficile à maîtriser. La protection des écosystèmes pourrait ainsi contribuer à un tiers de l’objectif des émissions de CO2 fixé dans le cadre des accords de Paris à l’horizon 2030.

Un agenda trompeur ?

Dans ces conditions, qu’attend-on ? Si l’on considère l’agenda de cette année 2022, on serait tenté de dire qu’il y a tout lieu d’espérer. Un Ocean Summit est prévu à Brest début février, complété en juillet à Lisbonne par une conférence des Nations unies sur les océans ; un nouveau Sommet de la Terre se tiendra début juin à Rio avec, au menu, la création d’un conseil de la Terre, d’un institut sur les océans et le climat, ainsi que le lancement d’un programme d’actions 2000-3000 ; la COP15 pour la biodiversité doit poursuivre ses travaux à Kunming, en Chine, cet été avec de nouveaux objectifs majeurs à la clé comme la protection d’au moins 30 % des surfaces terrestres et marines, dont 10 % en protection stricte ; à suivre également la COP27 de novembre à Charm el-Cheikh, où sera certainement discuté le dernier volet du 6e rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) attendu pour fin février ; à suivre, enfin, les péripéties judiciaires, notamment à la Cour européenne des droits de l’homme, qui doit examiner la plainte de six jeunes Portugais contre l’inaction climatique de 33 États, sans oublier l’« Affaire du siècle », qui voit la France accusée d’inaction climatique par quatre associations, ou encore la décision attendue de la Cour suprême des États-Unis sur les compétences de l’Agence américaine de protection de l’environnement attaquée par la Virginie occidentale, soutenue par une vingtaine d’États républicains, en matière d’émissions de gaz à effet de serre. À nouveau un enjeu majeur…

Nadia Aly, photographe de l’année 2020 des Ocean Photography Awards ©Blancpain

On sait malheureusement que ces grands rendez-vous restent souvent au niveau de la lettre d’intention, quand ils ne déçoivent pas étant donné le peu d’envergure de résolutions dont les âpres négociations dont elles ont fait l’objet paraissent comme autant de vaines gesticulations. Le congrès de l’UICN de septembre 2021 en a ainsi débouché sur une vingtaine de motions qui s’ajoutent aux 109 déjà adoptées en 2020, parmi lesquelles la reconnaissance des droits des peuples autochtones, la réduction des impacts de l’industrie minière, la restauration des forêts primaires ou encore la protection de la santé humaine, animale et environnementale. À charge maintenant des gouvernements de s’emparer de cette feuille de route, en sachant que jusqu’ici la réponse politique à l’urgence environnementale n’a jamais été à la hauteur des enjeux. Un exemple : l’abstention de la France, pays hôte du congrès, sur le vote concernant la motion en faveur d’un moratoire sur les exploitations minières dans les grands fonds marins. Une attitude qui a fait bondir Greenpeace, jugeant la France « à rebours de l’histoire ». S’il s’agit de protéger les sources de revenus des grandes multinationales faiseuses de rois, le constat est pourtant clair, comme le stigmatisait lors du même congrès Rémy Rioux, à la tête de l’Agence française de développement : « Le sujet n’est plus seulement de financer des réserves et des parcs naturels mais de réorienter l’ensemble du système économique, disait-il. Les niveaux de croissance et les retours sur investissement qui étaient attendus depuis une trentaine d’années n’ont plus de sens. Il va falloir entrer dans un monde plus patient, moins rentable ! »

Ces multinationales concernées

On sait malheureusement que ces grands rendez-vous restent souvent au niveau de la lettre d’intention, quand ils ne déçoivent pas étant donné le peu d’envergure de résolutions dont les âpres négociations dont elles ont fait l’objet paraissent comme autant de vaines gesticulations. Le congrès de l’UICN de septembre 2021 en a ainsi débouché sur une vingtaine de motions qui s’ajoutent aux 109 déjà adoptées en 2020, parmi lesquelles la reconnaissance des droits des peuples autochtones, la réduction des impacts de l’industrie minière, la restauration des forêts primaires ou encore la protection de la santé humaine, animale et environnementale. À charge maintenant des gouvernements de s’emparer de cette feuille de route, en sachant que jusqu’ici la réponse politique à l’urgence environnementale n’a jamais été à la hauteur des enjeux. Un exemple : l’abstention de la France, pays hôte du congrès, sur le vote concernant la motion en faveur d’un moratoire sur les exploitations minières dans les grands fonds marins. Une attitude qui a fait bondir Greenpeace, jugeant la France « à rebours de l’histoire ». S’il s’agit de protéger les sources de revenus des grandes multinationales faiseuses de rois, le constat est pourtant clair, comme le stigmatisait lors du même congrès Rémy Rioux, à la tête de l’Agence française de développement : « Le sujet n’est plus seulement de financer des réserves et des parcs naturels mais de réorienter l’ensemble du système économique, disait-il. Les niveaux de croissance et les retours sur investissement qui étaient attendus depuis une trentaine d’années n’ont plus de sens. Il va falloir entrer dans un monde plus patient, moins rentable ! »

Ces multinationales concernées

Selon les estimations, pour avoir un impact positif sur la nature, les investissements dans la biodiversité devraient se chiffrer à quelque 1 000 milliards de dollars par an, alors qu’ils atteignent aujourd’hui péniblement 150 milliards, dont 80 % d’argent public. C’est donc vers les multinationales que l’on se tourne naturellement pour qu’elles prennent le relais. D’autant qu’elles en ont clairement les moyens, notamment dans le domaine du luxe, où les marges sont parmi les plus confortables des systèmes industrialisés, soit plus de 20 % en moyenne au niveau opérationnel. Dans ce contexte, pourquoi ne pas faire passer la nature avant les intérêts des actionnaires, en d’autres termes l’avenir de la planète avant les profits à court terme ? Pour idéaliste et simpliste que cette proposition puisse paraître, elle n’en a pas moins commencé à faire son chemin auprès des géants du luxe.

Hublot soutient Kevin Pietersen, fondateur de Save Our Rhino Africa India.

Partenaire du programme Unesco Man and the Biosphere, LVMH a ainsi révélé une stratégie en matière de biodiversité, qui est un des piliers de son programme d’actions LIFE 360, regroupant ses initiatives en faveur de l’environnement. « La protection des écosystèmes naturels a toujours été de la plus haute importance pour LVMH, dont l’activité dépend largement des matières premières naturelles : fleurs, raisin, coton, cuir, pierres…, explique Antoine Arnault, Directeur Image et Environnement de LVMH. Le partenariat “Act for biodiversity” avec l’Unesco constitue ainsi un pilier de notre politique environnementale nous permettant de questionner les normes, d’avoir un impact positif et durable au-delà de notre chaîne d’approvisionnement et de montrer qu’une réconciliation entre développement économique et sauvegarde de la nature est possible. » Concrètement, LVMH, qui travaille au déploiement d’outils de mesure fiables comme le Global Biodiversity Score et vise à neutraliser son impact sur la biodiversité d’ici 2030, s’engage à respecter le bien-être animal dans ses approvisionnements et à ne pas utiliser des matières premières en provenance des zones à fort risque de déforestation et de désertification. Le Groupe annonce par ailleurs un programme d’agriculture régénératrice pour les matières agricoles stratégiques comme le raisin, le coton, les lianes ou le cuir. L’objectif est de régénérer d’ici 2030 l’équivalent de 5 millions d’hectares d’habitat de la faune et de la flore.

Officine Panerai Piccolo Due Madreperla avec son bracelet en cuir d’alligator

Même constat chez Kering, qui s’est fixé des objectifs devant lui permettre d’atteindre un impact net positif sur la biodiversité d’ici 2025 et qui vient de lancer un fonds doté de 5 millions d’euros également destiné à favoriser une agriculture régénératrice. « Il s’agit de minimiser la perte de la biodiversité dans l’ensemble des circuits d’approvisionnement à l’échelle du Groupe et de préserver la nature à travers une approche de conservation permettant d’être net positif », explique Kering. Quant à la Compagnie financière Richemont, qui estime que ses activités n’ont pas d’impact significatif sur la biodiversité, elle n’en poursuit pas moins un code de conduite extrêmement strict en la matière et cite volontiers les cuirs d’alligator comme un exemple « contre-intuitif » de son action. « Le fait que les alligators ne pondent leurs œufs que dans les milieux naturels permet de conserver les zones marécageuses de Louisiane, expliquait récemment Matthew Kilgariff, Directeur Corporate Social Responsabilité de Richemont. S’il n’en était pas ainsi, les propriétaires fonciers de la région ne les maintiendraient pas dans leur état naturel et détruiraient les biotopes dont dépendent 8 000 espèces, dont les alligators. La promesse d’une récompense économique, replacée dans un contexte réglementaire qui garantit l’équilibre entre activité humaine et biodiversité, a permis aux populations d’alligators de Louisiane de croître de manière exponentielle au cours des dernières décennies. » Un exemple à suivre…

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