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Actualités

L’économie bleue passe par des financements adossés à la science

jeudi, 15 décembre 2022
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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8 min de lecture

Docteure en sciences économiques, chargée de recherche en économie environnementale au Centre scientifique de Monaco et auteure principale du «  Rapport spécial du GIEC sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique » et de son sixième rapport d’évaluation publié en 2021, Nathalie Hilmi partage son point de vue sur les océans et la finance bleue.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait Rabelais. Pour ce qui est de la question écologique, la finance sans la science n’est que greenwashing, pourrait-on ajouter en ce siècle de tous les dangers environnementaux. Or, en matière de finance et d’environnement, Nathalie Hilmi est femme de référence. La finance, elle la connaît de l’intérieur pour avoir piloté la stratégie d’un hedge fund. Quant à l’environnement, en tant qu’auteure principale des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, elle figure aux avant-postes de la recherche sur la question. Quelles perspectives pour l’économie bleue ? Nathalie Hilmi répond à la question.

Dr Nathalie Hilmi, Chargée de Recherche - Economie Environnementale, Centre Scientifique de Monaco
L’année 2022 a été riche en sommets et rencontres diverses sur les océans. Quel constat en faire au vu des résultats de la COP 27 ?

Nathalie Hilmi, chargée de recherche en économie environnementale au Centre scientifique de Monaco : En ce qui concerne les océans, je ne dirais pas que la COP 27 a été décevante, comme on a pu l’entendre. On y a d’abord vu un pavillon dédié aux océans et porté par des établissements scientifiques du monde entier participer à cette Conférence des parties tenue à Lisbonne, une première. La thématique, ensuite, a trouvé sa place, notamment au vu des décisions finales qui indiquent clairement que, pour combattre le réchauffement climatique, des solutions venues de la nature seront indispensables. En d’autres termes, cela veut dire que le « carbone bleu » a un rôle à jouer très important, à savoir ce carbone absorbé et stocké par les écosystèmes océaniques comme les herbiers marins, les mangroves ou les marais. Et c’est encore sans parler des solutions à développer en haute mer. En conclusion, je ne suis pas aussi négative que certains sur les résultats de la COP 27.

COP 27
Pourquoi, à votre avis, les océans ont-ils attiré jusqu’ici si peu d’investissements ?

En parlant de financements des océans, on observe qu’ils sont liés aux problèmes du changement climatique et s’adressent en conséquence à des projets visant à atténuer les conséquences du réchauffement plutôt que ceux destinés à la réhabilitation des écosystèmes. Dans ce contexte, je ne dirais pas que les océans attirent moins d’argent mais plutôt que les enjeux n’ont pas été compris. Il faut donc absolument tenir compte de ce que l’économie bleue peut rapporter et chiffrer cet apport dans les comptes d’État. La Banque mondiale, par exemple, est en train d’intégrer l’environnement au sens large, et donc l’économie bleue, dans son système d’évaluation. L’océan est par conséquent progressivement en train de faire sa place, désormais considéré comme une richesse supplémentaire des pays côtiers qu’il s’agit de valoriser.

Dans ce contexte, quel est votre avis sur les obligations bleues, considérées comme une solution de financement à fort potentiel ?

Les obligations bleues, comme les crédits carbone, servent notamment à financer des projets de conservation des écosystèmes marins afin qu’ils gardent intactes, voire reconstituent, leurs capacités d’absorption des gaz à effet de serre, quand elles ne servent pas à des remboursements de dette. Ces instruments financiers sont donc très importants pour les petits États insulaires en développement qui disposent d’importantes richesses naturelles. Il y a évidemment toujours deux côtés de la médaille. Prenons par exemple le transport maritime, qui assure 90 % des échanges commerciaux à travers la planète. Il s’agit là d’une activité lucrative mais également très polluante. En parlant d’économie bleue, il s’agit aujourd’hui de déployer nos efforts pour garder le côté lucratif du transport maritime mais en travaillant à la décarbonisation des tankers, pour laquelle il existe des pistes à explorer comme l’hydrogène vert ou le solaire dans un processus de transition énergétique. Idem avec l’extraction en haute mer. Le sous-sol marin a absorbé du carbone depuis des millénaires. Que se passera-t-il si l’on commence à exploiter ces zones riches en minerai. Le carbone va-t-il remonter à la surface et en quelle quantité ? Pour l’instant, nous n’en savons rien. Ce qui explique le moratoire voulu sur l’extraction en mer tant que la science n’aura pas effectué son travail. Il ne faut jamais considérer uniquement le côté lucratif des choses.

En donnant une valeur aux écosystèmes, on incite les gouvernements à les protéger et à les considérer comme un actif porteur de rentabilité.
Nathalie Hilmi
On parle dans ce contexte d’une financiarisation de la nature. Est-ce une bonne chose ?

La nature rend des services incommensurables via ses écosystèmes. Si on leur donne une valeur, cela revient à chiffrer les services écosystémiques qu’ils rendent à l’humanité. De la même manière que je reçois un salaire du Centre scientifique de Monaco pour la valeur du travail, le service, que je fournis. C’est dans cette perspective qu’il faut concevoir la protection/restauration des écosystèmes naturels afin de leur permettre de jouer pleinement leur rôle d’agents protecteurs contre le réchauffement climatique. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), un tiers des solutions doivent venir de la nature. C’est pourquoi il est essentiel par exemple de protéger les récifs coralliens et faire comprendre aux gouvernements l’importance qu’ils ont à jouer dans l’économie bleue. En donnant une valeur à ces systèmes écosystémiques, on incite les gouvernements à les protéger et à les considérer comme un actif financier porteur d’une certaine rentabilité. Les deux grands problèmes auxquels nous sommes confrontés sont le réchauffement climatique et une perte de la biodiversité. Pour les combattre, il faudra immanquablement renforcer la régulation émanant d’une réelle volonté politique mais aussi, comme je l’ai dit, des solutions basées sur la nature. Lui donner un prix est un incitatif supplémentaire. C’est pourquoi les obligations bleues vont dans le bon sens.

En 2021, le Belize et The Nature Conservancy ont finalisé l'accord permettant au pays de réduire sa dette et d'augmenter ses investissements dans la conservation de la nature. © TNC
Cela remet-il en question le concept de croissance illimitée ?

Il nous faut aujourd’hui envisager les choses de manière économiquement transformationnelle. Jusqu’ici, nous avons pensé uniquement à la nature en termes d’exploitation et d’extraction pour en retirer le maximum de profits. Une économie régénératrice de la nature et plus équitable va demander des changements radicaux. À tous les niveaux. Des consommateurs, dont l’insatiabilité est en train de détruire la planète, aux industries en passant par les gouvernements. En parlant de croissance, elle devra donc être une réalité pour tous. C’est pourquoi je salue la création, lors de la COP 27, du fonds pour pertes et préjudices subis par les pays les plus vulnérables en matière de catastrophes climatiques, des pays qui sont également ceux qui ont émis le moins de CO₂ au cours du dernier siècle. Question de justice climatique. Les marchés financiers peuvent contribuer à cette évolution, non plus au seul bénéfice des pays développés mais également en faveur de ces pays en développement via des mécanismes de valorisation de la nature.

À votre avis, quels sont les problèmes et donc les besoins les plus urgents en ce qui concerne les océans ?

Il nous faut absolument réduire nos émissions de CO₂. On ne peut plus continuer sur la même lancée. Et pour que les océans puissent jouer leur rôle de régulateur, nous devons impérativement lutter également contre la surpêche et la pollution, tout en empêchant les activités d’extraction. Ce sont des préalables à toute forme de régénération des océans. Mais, là également, je suis plutôt optimiste. Si le monde scientifique est parfaitement conscient des problèmes, les gouvernements, notamment ceux des petits États insulaires, commencent aussi à en saisir les enjeux et les avantages qu’ils ont à retirer de la protection de leur environnement. Ont-ils besoin de moyens financiers pour le faire ? Parfait, la finance bleue peut jouer ce rôle. Pour une fois que les marchés serviraient à autre chose qu’à la recherche du profit immédiat, à savoir à de vrais projets environnementaux durables. Il s’agit donc aujourd’hui d’aborder ces investissements en scientifiques. Telle est la solution, ou du moins une partie de la solution : des investissements adossés à une solide recherche scientifique !

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