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Les faussaires chinois à l’heure de l’excellence
Culture

Les faussaires chinois à l’heure de l’excellence

mercredi, 5 septembre 2012
Par Samuel Jaberg, swissinfo.ch
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Samuel Jaberg, swissinfo.ch

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7 min de lecture

Pour la première fois, la Fédération horlogère a mis la main sur de fausses montres à haute complication en provenance de Chine. Parfois vendues au même prix que les originales, elles engendrent un manque à gagner considérable et nuisent à l’image de marque de l’horlogerie suisse.

A y regarder de très, très près, on décèle tout de même quelques irrégularités: une fente de vis présentant une bavure microscopique, une pièce du boitier en carbone remplacée par du plastique ou encore l’absence d’anti-reflet sur la vitre. Mais à part ces détails, que même les spécialistes ont de la peine à déceler au premier coup d’œil, la fausse Hublot «Big Bang» saisie en décembre dernier par les douaniers suisses ressemble à s’y méprendre à l’originale.

L’aspect, le poids mais aussi l’odeur, puisque, tout comme son modèle, le faux bracelet a été parfumé à la vanille, sont confondants. Le plus impressionnant réside cependant dans le cœur de la montre. «C’est l’une des premières fois que je tiens en mains une fausse montre à tourbillon, un dispositif mécanique de haute précision. Les faussaires ont désormais la maîtrise de mouvements ultra-compliqués», explique Michel Arnoux, chef du service anti-contrefaçon de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH), qui nous reçoit dans ses bureaux de Bienne.

Au pied du Jura, dans cette ville industrielle de 50’000 habitants où siège le plus grand groupe horloger du monde, le Swatch Group, on scrute avec attention et une certaine inquiétude l’évolution du marché chinois de la contrefaçon, qui affecte désormais de plein fouet le secteur de l’horlogerie de haute précision.

L’argent des paris en ligne

Car contrairement aux Rolex vendues quelques dizaines de francs sur les marchés asiatiques ou sud-américains, les fausses montres qui s’écoulent à plusieurs milliers de francs, en trompant le consommateur, représentent un manque à gagner considérable pour les marques concernées.

Les patrons qui osent s’exprimer sur ce sujet hautement sensible ne cachent pas leur préoccupation. «Les contrefaçons coûtent chaque année des milliards à l’industrie horlogère», a récemment affirmé Nick Hayek, patron du Swatch Group, dans le gratuit 20 Minuten. «Le plus grave, c’est que les copies sont réalisées de manière de plus en plus professionnelle», a-t-il ajouté.

L’intérêt des contrefacteurs est certes lié au boom de l’horlogerie de luxe, mais pas seulement: «Suite à la crise horlogère de 2008-2009, les fabricants chinois de mouvements à haute complication ont dû brader leurs prix pour écouler leurs stocks. En parallèle, les triades chinoises (mafia) cherchaient de nouveaux débouchés pour investir les sommes colossales engrangées sur les paris sportifs en ligne», souligne Michel Arnoux.

Les prix ont fortement augmenté ces dernières années.
Des produits de «seconde main»

Si le lien «organique» entre crime organisé et contrefaçons horlogères est très difficile à établir, il est clair pour la FH que les deux sont imbriqués: «Les faussaires sont très bien organisés et connaissent le marché parfois mieux que les marques elles-mêmes. Ils choisissent les montres qui ont le plus de succès dans les pays visés et s’adaptent extrêmement rapidement à la demande».

Pour écouler leurs produits, les faussaires utilisent désormais principalement les plateformes internet d’échange de particulier à particulier, du type e-Bay. «Avec la crise, de nombreux traders new-yorkais ou londoniens ont bradé leur montre sur Internet. Les contrefacteurs se sont engouffrés dans la brèche, faisant croire qu’ils vendaient des produits de seconde main», affirme Michel Arnoux.

A l’autre bout du tuyau, nombreux sont les amateurs, conscients ou non de leur achat frauduleux, à céder à la tentation. «Les prix ont fortement augmenté ces dernières années. Par conséquent, beaucoup de passionnés se tournent désormais vers les montres d’occasion», poursuit Michel Arnoux.

Du désir (ou non) d’être copié

Si personne ne l’avoue ouvertement, on murmure volontiers dans les milieux de l’horlogerie suisse que les prix «surfaits» pratiqués par certaines marques et la politique de l’offre restrictive ont pu encourager les faussaires.

Par ailleurs, en réduisant drastiquement leur réseau de vente dans les marchés traditionnels (Etats-Unis, Europe), les marques suisses ont contraint des centaines de détaillants à s’approvisionner en produits de seconde main. «Ce marché parallèle, tout à fait légal dans l’UE et aux USA, crée un véritable appel d’air pour les contrefacteurs», estime Michel Arnoux.

Jean-Claude Biver, patron charismatique de la marque Hublot, a déclaré à plusieurs reprises ces dernières années la fierté qu’il a éprouvé lorsque ses montres ont été copiées pour la première fois, preuve du statut international acquis par la marque. Mais aujourd’hui, le discours a radicalement changé. Car le préjudice dépasse de loin les seules pertes économiques directes, relève Michel Arnoux: «Si le consommateur ne peut plus faire la différence entre une vraie et une fausse montre, il perd confiance. C’est un coup considérable porté à l’image de marque de l’horlogerie suisse».

Actions de terrain

Pour endiguer ce phénomène, la Fédération horlogère dispose d’une équipe de 40 à 50 inspecteurs chinois sur le terrain. «Notre stratégie consiste à multiplier les opérations afin de mettre les producteurs sous pression constante.» Des opérations sont menées quotidiennement, en collaboration avec la police, dans la province du Guangdong, épicentre de la contrefaçon horlogère.

Pour des résultats souvent «timides», concède Michel Arnoux. «Tout est parcellisé, il n’y a pas de lien économique officiel entre les différents acteurs. Les composants sont parfois fabriqués en toute légalité dans des entreprises qui ont pignon sur rue, puis assemblés et gravés dans des ateliers clandestins.»

Si de petits poissons tombent néanmoins régulièrement dans les mailles du filet, comme lors d’une opération au mois de mars qui a permis de saisir 280’000 pièces semi-finies dans un atelier clandestin, il est en revanche beaucoup plus difficile de remonter les filières et de s’attaquer aux cerveaux de l’organisation. Impliqués dans d’autres activités criminelles, ils bénéficient souvent de la protection des autorités.

La lutte passe aussi par l’assèchement des réseaux de distribution illégaux. Grâce à un logiciel développé par l’école d’ingénieurs de Bienne, 320’000 annonces ont pu être retirées sur les sites de vente en ligne de particulier à particulier en 2010. Quant aux douanes suisses, elles ont opéré 230 saisies sur la base d’analyses de risque. «Mais seul 2 à 3% du volume du commerce mondial est contrôlé par les douanes», relève Michel Arnoux.

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