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Les sept vies de Daniel Roth
Culture

Les sept vies de Daniel Roth

mercredi, 4 décembre 2019
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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9 min de lecture

C’est désormais sous la marque Jean Daniel Nicolas qu’il faut reconnaître le travail exceptionnel de Daniel Roth, un horloger qui travaille à l’ancienne pour une production confidentielle de… trois montres par année. Retour sur un parcours hors du commun.

Daniel Roth fait probablement partie de ces horlogers qui ont tout vu et tout connu en un demi-siècle d’histoire de la mesure du temps. Un horloger dont le nom est irrémédiablement associé à des réalisations qui ont fait date, quand on ne le retrouve pas à œuvrer au nom de quelques grandes marques. Après un parcours professionnel aussi riche que mouvementé, on aurait pu croire Daniel Roth retiré des affaires. Il n’en est rien. Pour s’en rendre compte, il suffit d’une petite visite dans son antre du Sentier, dans cette vallée de Joux à jamais associée aux plus beaux chefs-d’œuvre horlogers. Là, dans son atelier aménagé sous les combles qui fleure la tradition d’autrefois, Daniel Roth vit en quasi autonomie horlogère, pourrait-on dire, dans la mesure où il réalise la quasi-totalité de ses montres à la main et à l’ancienne. Avec l’aide de son fils et entouré de sa femme, il a recréé une cellule créative qui lui convient, « sans dieu, ni maître », avec pour seul diktat celui d’une horlogerie d’exception.

L’appel de la vallée de Joux

« Je suis le plus heureux des hommes, explique Daniel Roth, le sourire aux lèvres. Je peux réaliser de belles montres, à mon rythme et sans que l’on me dise quoi faire. La seule chose, finalement, qui m’a été demandée, c’est d’être précieux, de faire une horlogerie précieuse. Ce qui, évidemment, prend du temps. » En peu de mots, Daniel Roth résume bien une activité qui l’occupe depuis 2001, à savoir celle consistant à réaliser des garde-temps sous la marque Jean Daniel Nicolas – les trois prénoms familiaux réunis – étant donné que son patronyme horloger appartient à Bulgari depuis 2000. Inutile toutefois de penser pouvoir admirer en boutique les pièces du maître des céans. À raison de trois montres par année – si tout va bien –, la production Jean Daniel Nicolas est à ce point confidentielle qu’elle n’a guère le temps d’atteindre un quelconque présentoir. Comme la nouvelle identité de Daniel Roth commence à être connue, notamment grâce à un coup de pouce de la Maison de vente aux enchères Phillips et surtout de Maxima Gallery, société organisatrice d’une exposition itinérante The Masters of Art Horology consacrée aux plus talentueux des créateurs indépendants, les collectionneurs ont à nouveau Daniel Roth, ou plutôt Jean Daniel Nicolas, dans leur radar.

Chez Audemars Piguet, j’étais le seul horloger qui ne venait pas du Brassus. Autant dire qu’on me surveillait de près.
Daniel Roth

Ce regain de notoriété est probablement ce qui pouvait arriver de mieux à cet horloger dont les hauts faits ne sont de loin pas tous connus. Après un apprentissage effectué à Nice, dans le sud de la France, auprès d’enseignants qui ne cessaient de vanter les vertus des grands maîtres de la vallée de Joux, Daniel Roth n’a guère résisté longtemps à l’appel des montagnes du Jura. Ses premières armes, c’est donc auprès d’Audemars Piguet qu’il les fait. « À l’époque, j’étais le seul horloger qui ne venait pas du Brassus, implantation historique de la marque, se souvient Daniel Roth. Autant dire qu’on me surveillait de près. Cela dit, les vieux horlogers de la manufacture m’ont assuré une excellente formation, d’autant que j’avais demandé de passer par tous les départements, y compris par le service après-vente, où j’ai également appris à travailler à l’ancienne pour refaire certains composants défectueux de pièces anciennes. »

La renaissance de Breguet

Fort de ce bagage et après sept ans passés chez Audemars Piguet, Daniel Roth voit une nouvelle opportunité se dessiner auprès des frères Chaumet, alors propriétaires de Breguet. « Ils voulaient relancer la marque et cherchaient donc un horloger capable d’assumer cette tâche, poursuit Daniel Roth. De mon côté, j’ai joué franc jeu. Dans mon CV, j’ai clairement indiqué sur une page ce que je savais faire et sur une autre toutes mes lacunes. Il faut croire que cette franchise leur a plu, car ils m’ont engagé en étant d’accord pour attendre encore une année, le temps pour moi de suivre une formation complémentaire à l’École d’horlogerie du Sentier, toujours dans la vallée de Joux. » Commence alors une époque bénie pour Daniel Roth. Une fois sa montre école terminée – un modèle de poche avec quantième perpétuel – et vendue pour financer cette phase transitoire, il se retrouve seul avec un projet immense sur les bras. Qu’à cela ne tienne, Daniel Roth est un homme de défi et Breguet ne lui fait pas peur. À tel point que ces 14 années passées à redonner corps à une Maison séculaire vont façonner la marque telle qu’on la connaît encore aujourd’hui. Le style Breguet, ses finitions tout comme ses complications actuelles, porte la patte de Daniel Roth.

Daniel Roth © Fred Merz / LUNDI13
Daniel Roth © Fred Merz / LUNDI13

Las, la crise du quartz a eu raison de la détermination des frères Chaumet, qui, en 1987, vendent Breguet à Investcorp, un fonds d’investissement qui va très vite se montrer peu compétent en matière de gestion horlogère. C’est la fin de la troisième vie de Daniel Roth, qui opte alors pour l’indépendance. La société Daniel Roth est fondée en 1989, une nouvelle structure qui va permettre à l’horloger d’exprimer son immense talent avec toute la reconnaissance qui lui est due. L’ère des créateurs horlogers indépendants en est à ses prémisses, et Daniel Roth va largement contribuer à lui donner ses lettres de noblesse. Mais si l’homme est un génie horloger, il ne démontre pas les mêmes qualités dans les affaires. À la suite d’un grave problème de distribution, Daniel Roth se voit contraint de trouver un partenaire. Dans un premier temps, en 1994, c’est donc The Hour Glass, incontournable détaillant horloger singapourien, qui prend la majorité du capital, incapable toutefois de la garder très longtemps. Quelque six ans plus tard, à la suite de la perte de son plus gros client, le sultan du Brunei, The Hour Glass revend Daniel Roth à Bulgari, en même temps que la marque Gerald Genta. Pour Daniel Roth, c’en est fini des montres Daniel Roth.

Le phénix renaît de ses cendres

« Chez Bulgari, j’ai tout entendu ! s’exclame Daniel Roth. L’intention du directeur de production était clairement de me faire partir et moi, je n’avais évidemment pas l’intention de continuer à travailler dans ces conditions. Comme mon contrat avec Bulgari était à durée déterminée sur un an, je suis parti après ces 12 premiers mois. » On connaît la suite des montres Daniel Roth, un temps maintenues dans les collections de la Maison italienne pour finalement se fondre dans les gammes courantes et disparaître… Fin de la sixième vie de Daniel Roth. Mais certainement pas de ses talents horlogers. Tout comme le phénix qui sans cesse renaît de ses cendres, en 2001, Daniel Roth devait à nouveau se laisser tenter par l’aventure en solitaire. « Je suis reparti de zéro, dit-il. En commençant par dessiner les plans de mon nouveau projet et commander quelques ébauches pour le gros œuvre. Tout le reste, je l’ai fait à la main. Cela m’a pris deux ou trois ans pour réaliser mon premier mouvement, heureusement avec l’aide de Shellman au Japon, un détaillant qui ne représente que des créateurs indépendants et qui m’a commandé quelques pièces. » Résultat : la première Jean Daniel Nicolas Tourbillon Deux Minutes voyait le jour en 2005.

Tout dans les montres Jean Daniel Nicolas “respire” la maîtrise horlogère.

Tout dans les montres Jean Daniel Nicolas « respire » la maîtrise horlogère, avec un soin du détail et de la finition quasi obsessionnel, sans céder à l’harmonie des formes et à la complexité. Pour tout collectionneur qui peut voir son reflet dans la cage d’un tourbillon dont le pont en forme d’aile de chauve-souris demande une dizaine de jours pour son anglage, c’est l’émotion à l’état pur qui parle. L’ensemble de la montre est à l’avenant, fruit d’un travail, patient, méticuleux qu’un Abraham-Louis Breguet n’aurait pas renié. Et si on parle encore de montre en de telles occasions, c’est surtout pour souligner que sa fonction première est largement dépassée par la dose de génie qu’on lui insuffle. La preuve, en d’autres termes, que Daniel Roth « est toujours là ».

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