Si le documentaire Dirty Gold War du Suisse Daniel Schweitzer, apparu sur les écrans au début de l’été, n’a pas bénéficié de l’aura pécuniaire d’un Blood Diamond, grande production hollywoodienne avec la star Leonardo DiCaprio, son propos est tout aussi dérangeant. « L’or incarne toujours ce mythe du métal des dieux, symbole de pureté, de luxe, d’opulence et de richesse, voire de fidélité, alors que la réalité est toute autre, exposait le réalisateur lors de la projection de son film sur les écrans suisses. L’or est sale, il tue, il détruit l’environnement et met en péril des populations. À partir de ce constat, j’ai voulu réaliser un film de la mine à la vitrine qui raconte de manière concrète l’extraction d’un or illégal à sa légalisation. J’ai voulu donner la parole à la fois aux victimes qui luttent, qui résistent mais aussi à l’industrie du luxe. »
Ces 600 tonnes produites artisanalement « ne sont pas toutes équitables, loin s’en faut ».
De fait, sur quelque 3’000 tonnes d’or produites annuellement dans le monde, environ 20 % sont le fait d’une population de 20 millions de mineurs artisanaux, explique le stratège en ressources naturelles Didier Julienne dans l’une de ses chroniques publiées dans Les Échos et consacrée à l’or équitable. D’un côté, donc, 2’400 tonnes industrielles obtenues par mécanisation, informatisation du sous-sol, technologie de traitement… ; et, de l’autre, 600 tonnes, fruit du travail de ces orpailleurs faiblement mécanisés, sans accès aux banques, aux investisseurs, aux techniques de hedging… Or ces 600 tonnes produites artisanalement « ne sont pas toutes équitables, loin s’en faut », précise Didier Julienne. Et de détailler les problèmes liés aux infractions à la légalité de l’emprise minière vis-à-vis des autorités du pays, à la certification du terrain communautaire exploité qui doit être dépourvu d’écosystème critique ou de zone de conflit, à l’interdiction du travail des enfants et du travail forcé, à la protection de l’environnement qui demande notamment la réduction de l’utilisation du mercure et l’interdiction de ses rejets.
Une question sans réponse
Les résultats sont à la hauteur de ces méthodes d’extraction : dégâts écologiques et sanitaires, conflits entre mineurs illégaux et populations locales qui défendent leurs ressources et leurs réserves naturelles, conditions de travail inhumaines et paupérisation des communautés autochtones. Le fléau est endémique au point que certaines régions de la planète souffrent clairement d’une « malédiction des ressources naturelles », riche d’un sous-sol qui cause leur perte. Pour y remédier, la traçabilité de l’or est largement considérée comme un des moyens les plus efficaces. « Mais aujourd’hui on est incapable de dire d’où vient 95 % de l’or qui débarque sur le marché et c’est choquant, il n’y a pas d’autres mots, renchérit Daniel Schweitzer. À l’heure actuelle, pour rester dans le domaine du luxe, on sait exactement l’heure à laquelle un saumon d’Alaska a été pêché, puis conditionné, transféré et mis en vente. Idem pour les roses du Kenya, pour lesquelles on peut même remonter au nom de l’employé qui les a coupées. Pour l’or, rien. Quand on se rend sur le terrain, au Congo, au Brésil ou au Pérou, on comprend aisément pourquoi : l’or est extrait dans les pires conditions et très souvent de manière illégale. »
Au-delà des propos volontaristes de Daniel Schweitzer, on ne peut toutefois passer sous silence les initiatives prises dans ce domaine, notamment celle de l’Alliance for Responsible Mining (AMR), qui, avec le Responsible Jewellery Council (RJC), a établi les standards Fairmined couvrant l’extraction minière artisanale de l’or. Rappelons que le RJC réunit aujourd’hui plus de 600 membres certifiés des filières de l’or, du diamant et du platine qui se sont engagés en faveur de pratiques responsables concernant les droits de l’homme, les droits du travail et l’impact environnemental. Si les milieux professionnels ont commencé à se mobiliser, c’est qu’ils y trouvent leur compte : une réputation conforme à l’image irréprochable qu’ils cherchent à véhiculer, une prime financière à l’éthique susceptible d’améliorer les conditions de vie des mineurs et leur famille, un avantage concurrentiel à faire valoir auprès des consommateurs. Dans ces conditions, Didier Julienne n’hésite pas à conclure que « l’industrie du luxe a tout à gagner à soutenir l’or équitable. Celui-ci n’attend que l’investissement de ces marques opulentes pour prendre de l’ampleur ». Par conséquent, s’interroge-t-il, pourquoi dans le monde du luxe, qui regorge de moyens, qu’il soit situé à Paris, autour de la place Vendôme ou à Genève, Chopard est-elle esseulée dans l’importance qu’elle attache à travailler ses produits avec de l’or équitable ? La réponse reste en suspens.