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Philippe Dufour, brut de simplicité
Actualités

Philippe Dufour, brut de simplicité

jeudi, 27 juillet 2017
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Marie de Pimodan-Bugnon
Journaliste indépendante

“Il faut absolument être moderne.”

Arthur Rimbaud

De la passion, beaucoup de curiosité et une bonne dose d’émerveillement ! La recette essentielle pour raconter les mille et une facettes de l’horlogerie…

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7 min de lecture

Enfant de la Vallée de Joux et père de la fameuse Simplicity, Philippe Dufour est devenu un phénomène auprès des collectionneurs du monde entier. Vapeurs de tabac à pipe, travail sur de vénérables machines et finitions manuelles scrupuleuses constituent la mécanique bien huilée qui rythme les journées de l’horloger. Rencontre dans son atelier, au rez-de-chaussée de l’ancienne école du Solliat.

Tous les chemins de la Haute Horlogerie traditionnelle mènent à l’atelier de Philippe Dufour. En surplomb de la route du Solliat, à quelques encablures à peine de ces artères de la Vallée de Joux où s’alignent les noms des plus grandes manufactures de Haute Horlogerie, la bâtisse carrée qui, autrefois, fut l’école du village ne paie pas de mine. Ni plaque visible sur la façade quelconque, ni enseigne clinquante pour avertir le passant qu’ici opère un horloger devenu une véritable star auprès des collectionneurs du monde entier, et plus particulièrement au Pays du Soleil-Levant. Sans mot dire, Philippe Dufour annonce la mise : authenticité, discrétion et simplicité sont ici de rigueur.

Philippe Dufour
Sur son établi, chaque outil est soigneusement disposé selon un ordre dont seul Philippe Dufour connaît le secret. © Fred Merz / Lundi 13

Dans l’ancienne salle de classe qu’il occupe depuis 1995, enveloppé par les parfums du tabac et les odeurs mêlées de vieux bois et de métal, Philippe Dufour accueille le visiteur avec la bonhomie bienveillante de ceux qui n’ont rien à prouver. Sur les cinq établis, seules deux places de travail sont encore occupées. Celle du maître, bien sûr, couverte d’outils par dizaines soigneusement rangés selon une typologie connue de lui seul – limes, brunissoirs, cabrons, morceaux de bois de gentiane ramassés personnellement jouxtent des composants, des croquis et des boîtes… Celle de Paco, également, un horloger retraité d’Audemars Piguet qui, depuis un an, lui prête ses services à mi-temps avec une soif d’apprendre pareille à celle d’un jeune apprenti curieux. En guise de bande-son : le silence. Le décor : un capharnaüm organisé, avec vue sur les champs et la forêt.

Philippe Dufour
Depuis son établi, Philippe Dufour aperçoit la campagne environnante. Au bout du pré, la forêt dans laquelle il officie bénévolement en tant que surveillant auxiliaire de la faune. © Fred Merz / Lundi 13
Horloger sans frontières

Enfant de la Vallée, Philippe Dufour naît en 1948 dans une famille ouvrière de quatre enfants. « Mon père était malade – la polio –, et comme mon frère aîné a rapidement quitté la maison, lorsque j’ai eu 15 ans, mes parents ne voulaient pas que je m’éloigne, alors ils m’ont demandé de choisir un métier dans la Vallée, se souvient-il. La tête et les mains travaillaient bien, mais les maths n’étaient pas mon fort. On m’a dit que j’étais juste bon à devenir horloger. Finalement, je ne peux pas vraiment dire que j’ai choisi mon métier. » Diplômé de l’École technique du Sentier en 1967, il se prend à rêver d’aventures et boucle ses bagages pour s’envoler vers l’Allemagne, où il démarre sa carrière au service après-vente de Jaeger-LeCoultre. Quelque temps plus tard, il traverse la manche afin de réorganiser le SAV de la marque en Angleterre avant de prendre ses distances avec l’Europe en posant ses valises à Sainte-Croix, dans les Caraïbes, une île de 41 km de long qui comptait à l’époque pas moins de 14 « usines » d’horlogerie. Pendant deux ans, il exerce ses mains et développe son acuité visuelle dans un bâtiment de tôle de la General Watch Company, éclairé à la lumière artificielle. Au bout de deux ans, l’expérience est abrégée par la chute du dollar. L’usine ferme ses portes et Philippe Dufour se voit contraint de faire ses adieux aux cocotiers luxuriants et au soleil de plomb. De ces années d’expérience, il lui restera une conviction : « L’horlogerie est universelle, c’est quelque chose que l’on peut faire absolument partout. »

Philippe Dufour
Dans les senteurs d’huile et de tabac, l’atelier est investi par des dizaines de machines antiques. © Fred Merz / Lundi 13

En pleine « crise du quartz », Philippe Dufour décide de faire son retour aux sources. Après un passage chez Audemars Piguet, il ouvre son propre atelier en 1978. C’est le début de l’indépendance, le temps de la restauration de pièces anciennes, de la création de grandes complications – pour Audemars Piguet notamment. C’est aussi l’époque des succès mérités, des premières galères également. « J’ai vécu de la restauration pendant cinq ans, souligne-t-il. En 1992, j’ai développé ma Grande Sonnerie, en 2000 ma Simplicity et j’ai enfin réussi à équilibrer mes comptes en 2003. »

Philippe Dufour
Deux versions différentes de la Simplicity. © Fred Merz / Lundi 13
Star au Japon, tout simplement

Avec sa Simplicity, dont l’exemplaire numéro « 000 » n’a depuis lors jamais quitté son poignet, Philippe Dufour joue sans le savoir un coup de maître. Sa montre, un modèle de classicisme animé par les fonctions essentielles de l’heure, de la minute et de la petite seconde, déchaîne immédiatement les passions avec une cote de popularité décuplée auprès des collectionneurs japonais. Depuis 17 ans, il a réussi à en produire 204, dont 120 battent la cadence au Pays du Soleil-Levant. À l’instar de son ami Antoine Preziuso, qui lui avait d’ailleurs soufflé la judicieuse idée de créer un modèle pour le marché japonais, Philippe Dufour y évolue en véritable star. « Je reçois deux à trois mails par semaine avec des demandes, poursuit-il. Mais j’ai horreur de travailler sous la pression, alors c’est moi qui fixe les délais. Je me souviens qu’un acheteur anglais a accepté de patienter six ans pour obtenir sa montre ! » Autant dire qu’à près de 70 ans Philippe Dufour ne coule pas des jours paisibles. La Duality, son modèle à double régulateur présenté en 1996, n’a certes pas connu le succès de la Simplicity, mais pas moins d’une soixantaine de demandes ne peuvent aujourd’hui être honorées, faute de temps.

Philippe Dufour
Depuis quelque temps, Philippe Dufour a trouvé en Paco, retraité d’Audemars Piguet un « apprenti » idéal pour l’aider à mi-temps. © Fred Merz / Lundi 13
À l’école des fans

En marge des Simplicity que l’horloger et son aide, Paco, s’efforcent de produire, un projet de réédition de Grande Sonnerie répétition minutes de poche est sur l’établi pour satisfaire les désirs d’un collectionneur chinois. Quelques allers-retours au Japon sont aussi d’actualité pour l’horloger qui enseigne régulièrement à l’École d’horlogerie de Tokyo, notamment l’art des finitions manuelles comme l’anglage ou les moulures, des techniques qu’il n’a lui-même jamais apprises à l’école. « On ne vous enseigne pas ces savoirs à l’école d’horlogerie, se désole-t-il. On forme les jeunes uniquement en fonction des besoins des entreprises. Les connaissances, la tradition horlogère des finitions main, tout cela s’étiole doucement. J’essaie à mon niveau de freiner le phénomène. » Une raison pour laquelle la porte de son atelier reste ouverte à quiconque souhaite percer les secrets de l’art horloger. Pourquoi pas d’ailleurs à des investisseurs auxquels Philippe Dufour avoue qu’il serait enclin à faire bon accueil. Sur le pas de la porte de l’ancienne école devenue le temple de ces savoirs horlogers qui se transmettent oralement, dans un nuage de fumée, pipe à tabac vissée aux lèvres, Philippe Dufour conclut dans un sourire : « Je suis un homme libre, je dis ce que je pense. À mon âge, je peux me le permettre. » Entre authenticité et obsession du détail, le voici qui se dévoile sans détour : brut de simplicité.

Philippe Dufour
Philippe Dufour a aménagé son atelier au rez-de-chaussée de cette maison qui, jusque en 1995, fut l’école du village du Solliat. © Fred Merz / Lundi 13
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