Connaissez-vous quelqu’un qui serait prêt à débourser plus de $ 30 000 dollars pour acquérir une « vieille » Rolex Explorer II référence 1655, une montre produite entre 1971 et 1985 surnommée « Freccione », contraction de « flèche orange » en italien, car ce modèle est précisément doté d’une quatrième aiguille orange non débrayable permettant de lire l’heure sur une lunette 24 heures ? La réponse est probablement négative. Et pourtant, de tels individus se comptent aujourd’hui par milliers. L’un d’entre eux a en effet déboursé une telle somme à Hong Kong en fin d’année dernière pour acquérir cette Freccione de ses rêves. Bientôt votre tour ? Pour peu que vous manifestiez également un intérêt naissant pour les Rolex Submariner référence 1680 produites à partir de 1966, mais exclusivement pour celles destinées au marché nord-américain dont l’inscription Submariner sur le cadran a été peinte en rouge pendant quelques années seulement, vous aurez toutes les chances de rencontrer vos coreligionnaires sur Internet. En marge des ventes aux enchères réalisées par les grands commissaires-priseurs, réservées à un petit cercle de collectionneurs fortunés, la communauté des « fondus » de montres vintage de seconde main est en effet de celles qui montent et commencent à compter dans l’univers horloger.
Des montres « vraies »
Pour preuve, lorsque le responsable de fratellowatches.com, un site qui réunit depuis cinq ans des dizaines de milliers de fans de la légendaire Speedmaster, a demandé aux dirigeants d’Omega s’ils étaient d’accord pour réaliser une pièce commémorative, ces deniers n’ont pas hésité une seconde. Résultat : les 2 012 Omega Speedy Tuesday réalisées pour l’occasion, inspirées de la Speedmaster « Alaska Project II » produite en 1978, ont connu une vie des plus éphémères sur le réseau des réseaux. Proposées exclusivement aux internautes, une première pour Omega, elles se sont arrachées en un peu plus de 4 heures, soit une « Speed » toutes les 7 secondes… Faut-il dès lors s’étonner que la formule consistant à faire du neuf avec du vieux est de celles qui font mouche actuellement ?
Plusieurs raisons à cela, à commencer par une conjoncture maussade qui incite les amateurs à se reporter sur des valeurs sûres, en d’autres termes sur des montres emblématiques qui racontent des histoires crédibles. Un atout certain dans la cacophonie promotionnelle ambiante qui fait du moindre tic-tac une résonance du pouls d’Abraham-Louis Breguet lui-même. Côté manufactures, dont l’audace se trouve grandement tempérée par 20 mois de vents contraires, l’attrait pour ces pièces d’après-guerre leur permet de limiter les risques tout en offrant l’opportunité de consolider leurs positions dans l’entrée de gamme, un segment des plus « travaillés » par les temps qui courent. Comme les icônes horlogères ne se rangent pratiquement pas dans l’univers des grandes complications, les modèles restent en effet « abordables » si déclinés en acier. À cela s’ajoute cette vague de fond en train de transformer le vintage comme le summum du bon goût. Avec leur charme un peu désuet et pourtant si intemporel, avec leur passé chargé de sueurs et de larmes, ces montres sont vite devenues indispensables aux Maisons horlogères en panne de relais de croissance. Et pour cause, le néo-rétro horloger cartonne.
Paris gagnants
Inutile de dire que le moindre anniversaire de modèles reconnus, pour peu qu’il se compte en plusieurs décennies, devient un excellent prétexte pour remettre ces montres aux noms illustres sur le devant de la scène. Le dosage doit alors être savant entre les courbes du passé et les technologies d’aujourd’hui. Pas question en effet de modifier une esthétique considérée comme une véritable signature. Tout au plus verra-t-on quelques petites retouches animer un cadran et des boîtiers grossir d’une poignée de millimètres pour se conformer aux normes actuelles. Mais pour ce qui est de la motorisation, il est de bon ton de faire oublier les pratiques industrielles d’antan, grandement améliorées depuis l’avènement du numérique et des centres d’usinage CNC. Question de bien montrer que les calibres d’aujourd’hui sont plus fiables et plus performants. Il ne reste alors plus qu’à laisser la magie opérer, en sachant que le pari est gagnant à tous les coups. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer l’« Autaviamania » déclenchée l’an dernier par TAG Heuer auprès des internautes appelés à déterminer quel serait le modèle du mythique chronographe lancé en 1962 à voir le jour cette année. Finalement, la renaissance de cet icone a pris la forme d’une Rindt Autavia, du nom d’un célèbre pilote autrichien de formule 1 dans les années 1960, un modèle présenté à Baselworld muni du calibre Heuer 02 de dernière génération de la marque.
TAG Heuer n’est bien évidemment pas un cas isolé. Au Salon bâlois, une démarche en tout point identique était à observer avec les sexagénaires Speedmaster d’Omega et Superocean de Breitling, tout comme avec la quinquagénaire Sea-Dweller de Rolex, voire avec la « jeunette » Aquanaut de Patek Philippe, qui souffle ses 20 bougies. Autant d’anniversaires, autant de lancements en fanfare pour des montres dont le nom fait clairement partie du patrimoine horloger et qui connaissent une seconde jeunesse au pouvoir de séduction parfaitement intact. En parlant de patrimoine, il est également de bon ton de ressusciter des montres qui ont depuis longtemps disparu des présentoirs mais dont l’évocation renvoie à des étapes importantes de la mesure du temps. La montre à angle horaire conçue par Tissot en partenariat avec le pionnier de l’aviation Charles Lindbergh fait partie de celles-là. Doyenne des pièces « historiques » de l’année, elle revient sous la forme d’une Lindbergh Hour Angle Watch 90th Anniversary afin de célébrer les 90 ans du premier vol transatlantique en solo sans escale chronométré par l’horloger suisse.
Les marques n’ont toutefois pas forcément besoin d’un quelconque jubilé pour participer à la fête. Faute d’avoir une date clé sous le coude, elles ne s’efforcent pas moins de donner à certains de leurs modèles des allures rétro, à l’instar de Zenith avec sa gamme Pilot ou de Chopard avec son modèle Mille Miglia Classic Chronograph de l’année, quand elles ne s’ingénient pas à perpétuer la tradition comme le fait Blancpain avec sa Tribute to Fifty Fathoms MIL-SPEC ou encore Tudor avec sa ligne Heritage Black Bay. Chacune de ces montres a sa particularité. Chacune évoque une épopée, une odyssée, aujourd’hui une véritable croisade des marques. Sur le chemin de Jérusalem, ces dernières marchent en terres conquises.