Les objets en trois dimensions m’ont toujours fasciné. Et vu sous cet angle, le planétaire-tellurium est une construction prodigieuse. Il allie la poésie du mouvement des planètes à des contraintes mécaniques insensées. En fabriquer un aujourd’hui, c’est d’abord faire revivre une pièce horlogère dont le dernier exemplaire a été construit à la fin du XIXème siècle. Mais il représente aussi un défi, celui de mettre en scène un maximum de planètes, avec toutes les complications que cela implique, et d’animer l’ensemble avec un moteur mécanique et non pas à quartz comme souvent dans les grandes pièces de ce genre. En fait, le planétaire-tellurium représente un paroxysme technique, un défi que j’avais envie de me lancer. J’ai vu rapidement qu’il y avait matière à inventer quelque chose de spectaculaire.
Quand je travaillais encore dans le groupe Matra, j’ai vu un jour un astrolabe fabriqué par Hour-Lavigne, l’une des marques du groupe aujourd’hui défunte. Sa complexité m’a séduit et j’ai voulu en savoir plus sur ces grandes pièces. Un travail d’exploration d’archives m’a mené de fil en aiguille aux planétaires-tellurium et à leur histoire que j’ai retracée depuis ses débuts.
En 1998, lorsque j’étais encore chez Mauboussin et que les montres Mille n’existaient pas, j’ai contacté les constructeurs Stephen Forsey et Robert Greubel. Je voulais savoir si un tel projet les motiverait. J’ai été surpris d’apprendre qu’ils y avaient eux-mêmes déjà réfléchi. Ils ont accepté et ça a marqué le début de l’aventure.
Dix ans dont 50’000 heures de travail uniquement pour la recherche et le développement. Nous sommes partis de rien, tout était à inventer. Si cela a duré aussi longtemps, c’est parce que j’ai voulu que ce planétaire-tellurium respecte les trois préceptes qui caractérisent les produits Richard Mille : le meilleur de l’innovation, le meilleur du design et de l’architecture, et le meilleur de la culture horlogère. A cela s’est ajoutée ma volonté de créer un appareil facile à utiliser.
Le développement et la construction ont mobilisé une équipe d’environ dix personnes. La Maison Greubel et Forsey s’est occupée de la conception, ce qui l’a amenée à engager un astrophysicien capable de réaliser tous les calculs pour le mouvement des planètes. Grâce à lui, l’appareil affiche une précision exceptionnelle. La plus grosse erreur concerne l’axe terrestre qui gagne 1 degré tous les 7,7 ans. A Genève, Olivier Vaucher s’est chargé de fabriquer les astres et l’horloger Etienne Christian de Porrentruy a assumé le montage. Enfin, plusieurs sous-traitants sont intervenus comme Horométrie ou Valgine dans lesquels je suis impliqué.
Chaque pièce a déclenché des maux de tête ! Il suffisait de modifier un élément pour que dix autres se dérèglent juste derrière. Même l’habillage nous a donné du fil à retordre et encore aujourd’hui, certaines pièces sont reparties dans les ateliers pour être améliorées. La terre, par exemple, devait être réalisée en or. Mais elle a été plusieurs fois retravaillée avant d’être finalement taillée dans de l’argent en raison d’une masse trop forte qui déréglait son axe. La taille de l’objet et les forces en jeu ont aussi influencé nos choix techniques. C’est pourquoi le mouvement est équipé d’un échappement à détente plutôt qu’un échappement à ancre car il interfère beaucoup moins avec le balancier.
Nous nous sommes tous fatigués à un moment ou à un autre. A force de voir la ligne d’arrivée s’éloigner jour après jour, chacun de nous a connu un stade où la force de continuer manquait. La motivation est venue de la passion que nous avions quand le projet a démarré. Mais cet épuisement a touché d’autres personnes. Les clients potentiels ont aussi connu une certaine lassitude. Plus le délai était repoussé, moins ils y croyaient. Le risque était que sa présentation tardive au public passe inaperçue, ce qui n’a pas été le cas.
Non. En horlogerie, il y a 10’000 façons de s’exprimer, soit à travers un planétaire-tellurium, soit avec de petites séries ou différemment encore. Prenez Patek Philippe ou François-Paul Journe, ils ont atteint des niveaux de complexité extrêmes à de petites échelles. Cette liberté d’expression fait tout le charme de l’horlogerie. En plus, aujourd’hui, tout est permis, une aubaine ! Je pense d’ailleurs que si les horlogers arrêtaient de se copier, ils s’exprimeraient encore plus librement.
Toutes ! Dans ce planétaire-tellurium, rien n’a été simple et facile. Pourtant, l’une des tâches les plus ardues a été de convaincre les sous-traitants de se lancer dans la fabrication de pièces uniques. Pour eux, cela représente une charge de travail supplémentaire. De plus, trouver le bon fabricant, le bon artiste n’a pas été évident.
Il sera terminé cet été, dès le mois de juillet. Son prix a été fixé à cinq millions d’euros mais je ne me suis pas encore intéressé à la manière dont la vente va se dérouler. L’idée d’une vente aux enchères originale et décalée me plaît beaucoup.
Au début, je pensais en fabriquer trois exemplaires. Mais le planétaire-tellurium est décidemment trop complexe à réaliser, il n’y en aura donc pas d’autres.