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Smart ou pas smart, telle est la question
Regards de connaisseurs

Smart ou pas smart, telle est la question

mardi, 19 septembre 2017
Par Luc Debraine
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Luc Debraine

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6 min de lecture

Les smartwatches s’évertuent à incorporer les codes de l’horlogerie traditionnelle. Dont les affichages analogiques, voire de vrais mouvements mécaniques. Ces hybridations interrogent la définition de la montre-bracelet contemporaine.

« Connected to Eternity » : l’inscription sur le fond d’un boîtier TAG Heuer en dit long sur un enjeu horloger d’importance. Cette Carrera calibre 5 est l’une des têtes de montre faisant partie de l’assortiment « connecté » présenté par la Maison en cette année 2017. Il s’agit en fait du « module mécanique » de la TAG Heuer Connected Modular 45, une smartwatch de luxe qui propose une grande variété de personnalisations. Les choix portent sur la montre connectée à écran Oled, le bracelet, la boucle, les cornes de la boîte et les matériaux, qui vont de l’acier au diamant. Mais aussi sur la possibilité d’acquérir – en plus – un calibre 5, voire le chronographe tourbillon Heuer 02T. Dans cette configuration, la smartwatch change de nature : elle n’est plus numérique, mais mécanique. Et si elle est connectée, c’est à l’éternité, comme l’indique avec malice, et non sans emphase, l’inscription du boîtier.

Ce type de nouveauté horlogère pose d’intéressantes questions sur le statut de la montre-bracelet aujourd’hui : sa fonction, sa relation au monde numérique triomphant, sa propre temporalité, sa définition même. Il est évident qu’un garde-temps qui intègre des circuits électroniques, une batterie rechargeable, un GPS ou un écran tactile n’a pas le même positionnement qu’une pièce de Haute Horlogerie. C’est un instrument connecté comme les autres, plus proche de la Silicon Valley que de la Watch Valley, même si la TAG Heuer modulaire affiche avec fierté son « Swiss Made ».

TAG Heuer Connected 45 Watch
TAG Heuer Connected 45 Watch
Le poids de la tradition

Les marques tentent actuellement de faire monter en gamme leurs smartwatches, de leur donner du lustre avec des matériaux nobles. Ou grâce à leur propre notoriété dans l’industrie du luxe, comme la Tambour Horizon de Louis Vuitton, dévoilée cet été. Le partenariat Hermès-Apple Watch illustre aussi ce besoin de valorisation. Toutefois, rien ne vaut l’aura d’un beau mouvement mécanique. Le designer genevois Ivan Arpa l’a compris. Il dessine les montres connectées de Samsung, donnant une caution suisse aux modèles coréens fabriqués en masse. Ce n’est pas suffisant. Invité pour la première fois à Baselworld 2017, Samsung proposait des prototypes futuristes de sa Gear S3.

L’un avait troqué son contenu siliconé pour un mouvement squelette suisse. L’autre « concept watch » de Samsung était une montre de poche hybride : une grande Gear S3 côté face, un petit mouvement mécanique côté pile. L’objet recevait ainsi une bouture de « Swiss Made » pour mieux grandir et tenter de dépasser sa petite taille digitale bon marché. Après le transhumanisme, voilà le transhorloger, nouvelle alliance de la puce informatique et de l’excellence mécanique. Samsung disait à Bâle ne pas vouloir commercialiser les concepts imaginés par Yvan Arpa. Mais l’intention était là.

Samsung Gear S3 Concept Watch
Samsung Gear S3 Concept Watch

Le poids symbolique de la tradition s’incarne aussi dans les affichages analogiques des smartwaches. Nombre de ces montres ne sont d’ailleurs que des traceurs d’activités quotidiennes. Elles arborent un vrai cadran à aiguilles, souvent agrémenté d’un compteur ou d’un minuscule écran numérique. Leur mécanisme à quartz intègre des capteurs qui, via une application pour smartphone, sont comptables de nos pas, heures de sommeil, pouls et ainsi de suite. Grâce à leurs écrans Oled, des montres connectées comme la TAG Heuer ou l’Apple Watch peuvent afficher des cadrans analogiques, où les aiguilles, compteurs et graduations sont simulés en haute définition. Le propriétaire d’une smartwatch a la plupart du temps le choix d’une quantité de cadrans, quitte à ce qu’il les personnalise lui-même, à sa guise.

L’image numérique marque une rupture ontologique, une perte d’être. Elle indique un rapport plus distant avec le monde. Elle est « moins réelle ».
Un monde ambivalent

Il ne s’agit pas que de l’hommage du nouveau monde à l’ancien. On connaît les qualités de lecture d’un affichage analogique, sa clarté immédiate, sa mémorisation facile. Un affichage numérique, avec des chiffres ou des lettres, est moins intuitif. Il se retient moins aisément. Peut-être parce que nous sommes par nature des êtres analogiques et que notre cerveau fonctionne de cette manière-là. Reproduire grâce à une image informatique un cadran analogique pose un problème d’indicialité. On utilise en général ce terme en photographie, pour souligner la différence entre la photo argentique avec des pellicules et la photo numérique. L’image argentique est indicielle parce qu’il existe une continuité de matière concrète entre la chose et sa reproduction, toutes deux « réelles », toutes deux « vraies ». L’image numérique marque une rupture ontologique, une perte d’être. Elle indique un rapport plus distant avec le monde. Elle est « moins réelle ».

TAG Heuer Connected Modular 45
TAG Heuer Connected Modular 45

Le même phénomène est à l’œuvre sur les écrans numériques des smartwatches. Elles affichent avec une profusion de pixels des cadrans analogiques, mais leurs images sont intangibles. Abstraites. Il n’y a plus de contiguïté de matière entre un mouvement mécanique et la ronde des aiguilles. Quelque chose de précieux s’est perdu en route. Perdue au milieu de quantité d’autres fonctions, la mesure du temps en prend un coup. La temporalité d’une smartwatch est d’ailleurs différente de celle d’une montre mécanique. Cet instrument connecté appartient à la catégorie des objets rechargeables (plug-in). Il a besoin de sa dose quotidienne d’électricité, sans quoi il tombe en rade. D’où l’utilité d’avoir un module mécanique à mouvement automatique à portée de main, comme dans le cas de la TAG Heuer. Le logiciel d’une smartwatch a besoin de mises à jour régulières. Et n’oublions pas l’obsolescence programmée de ce type de montres, qui se renouvellent d’année et année, comme un Smartphone.

Temps court d’un côté, temps long de l’autre : l’inscription « Connected to Eternity » est en fin de compte pas mal trouvée. Elle pose la question de la définition de la montre-bracelet en cette deuxième décennie du XXIe siècle. Autonome ou connectée ? Responsable d’elle-même ou dépendante de l’Internet des objets ? Ancrée dans la tradition ou ouverte sur l’innovation ? Luxueuse ou bas de gamme ? Suisse ou américaine/asiatique ? Analogique ou numérique ? Et surtout : smart ou pas smart ?

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