À quoi bon réaliser des montres de plongée taillées pour les abysses si l’on affiche une parfaite indifférence aux maux du monde marin. Il y a un peu plus d’un demi-siècle, lorsque les horlogers s’ingéniaient à remplir les cahiers des charges prescrits par les plongeurs professionnels et autres commandos de la marine, le commandant Cousteau commençait à peine à sensibiliser le grand public aux merveilles du monde océanographique. Plus rien de tel aujourd’hui, où ces merveilles, précisément, courent les plus grands dangers. Il n’est dès lors plus question de produire des garde-temps de haute mer sans afficher toute l’attention voulue à l’environnement dans lequel elles sont censées évoluer. En d’autres termes, comment faire rêver avec un modèle d’exception au poignet s’il s’agit de plonger dans une poubelle… Dans ces conditions, les Maisons horlogères sont de plus en plus nombreuses à s’intéresser à la préservation des océans et à s’engager aux côtés des ONG spécialisées dans toute une série d’actions concrètes.
Mais comme le dit le proverbe : « Charité bien ordonnée commence par soi-même. » Les entreprises se doivent donc aujourd’hui de considérer non pas seulement les actions qu’elles peuvent soutenir sur le terrain mais également ce que leur propre organisation peut faire dans une perspective de développement durable. C’est sur cette question que s’est penchée la Fondation de la mer, une organisation créée en 2015 « qui soutient de nombreux acteurs pour renforcer et accélérer leur impact positif en faveur de l’océan ». Avec le soutien du Ministère de la Transition Ecologique et le concours du Boston Consulting Group, elle a ainsi développé un outil avec et pour les entreprises, leur permettant d’appréhender et mesurer leur contribution aux Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies décidés lors de la COP21. En jeu : l’ODD 14, qui vise à conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines.
On ne saurait trop insister sur toute l’importance que revêt l’océan, poumon de la planète pour capter jusqu’à 30 % du CO2 d’origine humaine et émettre 50 % de l’oxygène que nous respirons à travers les phytoplanctons. L’océan est également essentiel aux différentes économies, comme le relèvent la Fondation de la mer et le BCG. En France, par exemple, la valeur économique des secteurs qui sont en lien avec la mer équivaut à 14 % du PIB. Au niveau mondial, 10 à 12 % de la population dépend des revenus de la pêche et de l’aquaculture. Sans parler des activités touristiques et des échanges commerciaux. « Et pourtant, note la Fondation de la mer, l’état de l’océan se dégrade rapidement sous l’effet des pressions exercées par l’homme. Réchauffement, acidification, pollution chimique et physique de l’océan, surpêche, artificialisation des littoraux, destruction d’écosystèmes : les dommages sont déjà colossaux et s’aggravent chaque jour. Préserver l’océan est bien davantage qu’un devoir pour les générations à venir : c’est une question de survie. » Et dans cette lutte, les entreprises ont évidemment leur rôle à jouer, et pas seulement celles qui sont en lien direct avec l’eau, car ce sont avant tout les activités humaines à terre qui menacent les équilibres maritimes. Comme 80 % des déchets présents dans l’océan viennent de la terre, c’est sur terre que le combat doit être mené !
L’outil de la Fondation de la mer est à replacer dans ce contexte, construit pour être à la fois « robuste, pertinent par rapport aux cibles de l’ODD 14 et facilement utilisable pour toutes les entreprises, quel que soit le secteur d’activité ». Testé en conditions réelles par neuf entreprises, ce nouveau référentiel permet ainsi aux différentes organisations de mesurer leur contribution à travers dix impacts qui couvrent l’ODD 14 et ce, afin de progresser dans leur gestion de ce « bien commun ». Aux entreprises ensuite d’avancer selon les objectifs qu’elles se fixent en sachant qu’elles peuvent se référer à une vision cible définie par les travaux de la Fondation de la mer leur donnant un cap à suivre. À disposition pour chaque type d’impact, des leviers d’action et des indicateurs pour mesurer le suivi. Un exemple : pour ce qui est de la pollution chimique des milieux aquatiques et marins, dans la catégorie des déchets, il s’agit d’en réduire les quantités générées et d’augmenter la part des déchets recyclés et valorisés (les leviers) avec, comme valeur de référence, la proportion qu’ils doivent représenter dans les quantités totales des déchets.
Conclusion de Françoise Gaill, océanographe directrice de recherche émérite au CNRS et présidente du Conseil scientifique de la Fondation de la mer : « Il faut désormais passer à l’action et se saisir de cet outil pour réduire significativement l’impact que nous avons sur le milieu marin. Préserver la santé de l’océan, c’est préserver sa capacité à nous rendre un nombre de services incalculables, c’est préserver la santé de nos sociétés. »