Si la tête de mort, généralement posée sur deux tibias entrecroisés, représente dans l’imaginaire collectif le drapeau des pirates et autres flibustiers écumeurs des sept mers, elle n’en évoque pas moins une notion plus profonde, immuable, liée à la condition humaine. Comme le rappelle l’Ecclésiaste, livre de l’Ancien Testament, « vanitas vanitatum, omnia vanitas » (« vanité des vanités, tout est vanité »), une maxime qui pose philosophiquement l’homme devant son destin, celui de sa mortalité. Ce memento mori rappelle en effet à tous autant que nous sommes que la mort est inéluctable et que, malgré l’opulence et les richesses, la gloire et les plaisirs, la « grande faucheuse » sera immanquablement au rendez-vous. Question de respecter l’ordre de l’espèce, comme le symbolise parfaitement la tête de mort. « Être ou ne pas être, telle est la question », dit Hamlet dans son monologue tenant le crâne de Yorick dans les mains.
Un riche passé
Les « vanités »… Cette notion a largement inspiré l’art pictural des siècles passés où nombre de natures mortes mettent en scène un crâne en guise de réminiscence de la fragilité humaine, de son immanente mortalité. Dans ces conditions, les horlogers ne pouvaient raisonnablement ignorer cette symbolique intimement liée au passage du temps. Depuis le XVIIe siècle, il n’est ainsi pas rare de voir des montres de poche et des horloges de table prendre la forme d’une tête de mort, comme chez Nicolous Schmidt, Nicolas de Bary, Marc Lagisse ou James Harmar, pour n’en citer que quelques-uns. Idem pour les garde-temps liés à la franc-maçonnerie, dont les cadrans sont souvent ornés d’un crâne humain étant donné que nul ne peut entrer dans une nouvelle vie maçonnique sans avoir mis fin à son existence antérieure.
Profusion de nouveaux modèles
Cette thématique, en temps oubliée, reprend aujourd’hui tous ses droits. On se souvient des fameuses Bubble de Corum, déclinées en Baron, Gangster ou Jolly Roger, qui représentent toutes diverses facettes de la fatalité humaine. Bell & Ross emboîtait le pas avec sa collection Airborne, qui se pare même d’un tourbillon. Plus récemment, c’était au tour de Richard Mille avec sa Tourbillon RM 052 Skull, de Hublot avec sa Skull Bang, de Perrelet avec sa Turbine Toxic, sans oublier la baroque Memento Mori de Daniel Strom ou encore la sculpturale Memento Mori de Fiona Krüger, inspirée de la montre de Marie reine d’Écosse et de l’imagerie mexicaine « Dias de los Muertos », dont le boîtier en forme de crâne inclut un mouvement squelette. Même Swatch s’est mis de la partie avec sa Full Blooded Black Skull.
« La mort, le maître absolu », disait Hegel. « Si vis vitam para mortem », nous enseignent les anciens, une maxime reprise par Freud qui veut que pour vivre il faille se préparer à la mort. Cette réminiscence portée au poignet prend bien évidemment des atours singuliers. La mode s’est certes emparée du thème. Mais au-delà des apparences et du clin d’œil à la piraterie, un tel décompte du temps n’est pas sans évoquer les règles immuables de notre humanité selon lesquelles le temps qui passe est un temps révolu qui nous rapproche de cet instant fatal.