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Les fonds marins, trésor latent ou pillage programmé ?
Actualités

Les fonds marins, trésor latent ou pillage programmé ?

jeudi, 17 novembre 2022
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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14 min de lecture

Riches en minerais mais aussi en diamants, les fonds marins suscitent toutes les convoitises, sans que l’on sache véritablement quelles seront les conséquences de leur exploitation sur les écosystèmes marins. Celle des diamants a déjà commencé, celle des minerais est pour demain, comme le revendique déjà la république de Nauru. Les esprits commencent à s’échauffer.

Le fameux roman de Jules Verne Vingt Mille Lieues sous les mers, paru en 1869, prend de nos jours de nouveaux accents prémonitoires. Les trésors que le capitaine Nemo donnait à observer à ses hôtes rescapés à bord du Nautilus sont devenus réalité. Peut-être pas sous la forme des merveilles observées dans les bas-fonds marins depuis les hublots du sous-marin de Jules Verne, mais bel et bien sous la forme de richesses qui suscitent aujourd’hui toutes les convoitises. Les grands fonds océaniques recèlent en effet des ressources minières volontiers considérées comme stratégiques car essentielles à la fabrication de produits de haute technologie mais également de cellules photovoltaïques, de batteries au lithium-ion pour véhicules électriques ou d’éoliennes par exemple, indispensables à la transition énergétique.

On trouve trois types de minéralisation du plus grand intérêt, enfouis à des profondeurs allant de 400 à 6’000 mètres : des nodules polymétalliques composés de fer et de manganèse, de cuivre, de cobalt et de nickel ; des encroûtements cobaltifères, qui, outre du cobalt, contiennent des métaux précieux comme le platine et des métaux rares comme le zirconium ; et des amas sulfurés riches en zinc, cuivre, or, argent et métaux rares. Et c’est encore sans parler des diamants. Sur la durée, l’érosion des volcans éteints a entraîné sur leurs flancs, puis dans les rivières, les diamants remontés en surface par les colonnes magmatiques. Ces gisements dits « secondaires » forment des placers alluvionnaires, voire des placers marins lorsque le débit des rivières qui charrient les diamants est suffisamment important pour les entraîner vers l’océan.

Des besoins exponentiels

Cette richesse sous-marine est à mettre en corrélation avec les besoins gargantuesques de la planète en matières premières. Un simple calcul économique permet déjà de comprendre qu’une croissance à taux constant implique une accélération de l’activité. Comme l’explique Olivier Nidal, auteur de Matières premières et énergie, les enjeux de demain, une augmentation de 3 % par an de la production de métaux, comme on l’observe pour le cuivre ou le fer notamment, implique ainsi un doublement de cette production tous les 20 ans. Résultat : « Si l’on s’en tient à demain, c’est-à-dire à 2050-2060, explique le rapport de l’OCDE Global Material Ressources Outlook to 2060, nous savons d’ores et déjà que si l’on ne change rien, la consommation mondiale de matières premières passera de 85 milliards à environ 180 milliards de tonnes, avec une population qui devrait augmenter de 2,5 milliards d’habitants. »

Debmarine Namibia, leader mondial de l'extraction sous-marine de diamants © Debmarine Namibia

Ces perspectives inquiétantes expliquent l’intérêt croissant pour le sous-sol marin en sachant que les investissements miniers terrestres sont généralement colossaux, se chiffrant en centaines de millions. Seulement, les minerais des profondeurs océaniques se trouvent essentiellement au-delà des zones économiques exclusives (ZEE), ces espaces maritimes sur lesquels les États côtiers peuvent exercer leurs droits sur l’exploitation des ressources naturelles. C’est là que l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) entre en jeu. Pour mémoire, l’exploitation des minerais des fonds marins a été concrètement abordée en 1982, lors des négociations sur l’élaboration de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), entrée en vigueur en 1994. La même année qui marquait la création de l’AIFM, organisme rattaché à l’ONU. Parmi les nouveaux concepts introduits par la Convention figure la « Zone », un espace situé au-delà des limites des juridictions nationales qui représente un peu plus de 50 % de l’ensemble des fonds marin. Or c’est précisément l’AIFM et ses 168 membres qui sont chargés de la réglementation sur l’exploration et l’exploitation des ressources minérales des profondeurs situées dans la Zone.

Les avantages économiques liés à l’exploitation minière des grands fonds devront être partagés « dans l’intérêt de l’humanité tout entière ».

Cette réglementation n’est toutefois pas encore sous toit. « À titre d’organisme de réglementation, la principale préoccupation de l’Autorité est probablement d’établir un équilibre entre d’un côté les avantages qu’offre à la société l’exploitation minière des grands fonds marins, y compris l’accès aux minéraux essentiels, le non-déplacement des communautés, l’étude approfondie des fonds marins et le développement technologique, et, de l’autre côté, la nécessité de protéger l’environnement », explique Michael Lodge, Secrétaire général de l’AIFM. Et Michael Lodge de relever également que les avantages économiques liés à l’exploitation minière des grands fonds devront être partagés « dans l’intérêt de l’humanité tout entière ». Une redistribution qui prendra probablement la forme de redevances versées à l’Autorité dont bénéficieront en priorité les pays en développement, qui n’ont ni les capacités technologiques ni les capitaux pour se lancer dans ce type d’activités minières sous-marines.

Inévitables conséquences environnementales

Reste la délicate question environnementale. Une question que l’AIFM n’occulte pas. « Le fait qu’aucune partie de la Zone ne puisse être exploitée sans l’autorisation de l’Autorité permet de s’assurer que les effets environnementaux de l’exploitation minière seront surveillés et contrôlés par un organisme international, précise Michael Lodge. Il est toutefois évident que l’exploitation minière aura, dans une certaine mesure, des conséquences sur l’environnement marin, en particulier près des activités minières. Par exemple, celles-ci pourront entraîner la destruction d’organismes vivants, la disparition de l’habitat et la formation de panaches sédimentaires. D’autres dégâts pourront être causés par le mauvais fonctionnement du mécanisme de remontée et de transport, des fuites hydrauliques et la pollution acoustique et lumineuse. »

L'axinelle commune est une éponge de couleur jaune à orangé qui ressemble à un petit arbuste © Laurent Ballest/Gombessa V

Si l’AIFM veut certes s’assurer que les recherches scientifiques soient dûment menées sur ces écosystèmes marins et les dommages potentiels qu’ils pourraient subir, le temps presse. Ou du moins certains États commencent à mettre la pression. À ce jour, l’AIFM a octroyé 31 permis d’exploration – et non d’exploitation – émanant de 22 États. Or des pays comme Nauru ne sont plus d’accord pour attendre. En 2021, cette république de Micronésie a formulé une demande auprès de l’AIFM pour se lancer dans l’extraction aux côtés de la société minière canadienne The Metal Company. Compte tenu des dispositions de la Convention sur les droits de la mer de 1994, l’AIFM a deux ans pour adopter un règlement d’exploitation après une telle requête. Si tel ne devait pas être le cas, Nauru commencerait probablement à draguer les fonds marins dès l’été 2023 et ce, en l’absence de réglementation.

La France rejoint les pays en faveur d’un moratoire de précaution sur les fonds océaniques.

Cette problématique s’est immanquablement posée lors du sommet de l’AIFM tenu à Kingston, en Jamaïque, début novembre, alors même que la COP27 de Charm el-Cheikh entamait ses travaux. C’est d’ailleurs à l’occasion de son discours tenu en Égypte à l’ouverture de la COP27 que le président français Emmanuel Macron a tenu à clarifier la position de son pays sur cette question : « La France soutient l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins. Comme l’a été l’espace, les océans doivent être une nouvelle frontière pour la coopération et le multilatéralisme. Nous devons tout faire pour les préserver en matière climatique ainsi que leur biodiversité. » En cela, la France rejoint des pays comme l’Allemagne, le Chili, le Costa Rica, l’Espagne, la Nouvelle-Zélande, le Panamà et plusieurs États insulaires du Pacifique favorables à un moratoire de précaution sur les fonds océaniques, le temps d’acquérir les bases scientifiques suffisantes sur ces écosystèmes largement méconnus.

Le mystère des abysses

« Les contrats d’exploration accordés par l’AIFM couvrent une surface de 1,3 million de km² de fonds marins profonds, avertit la Coalition pour la conservation des profondeurs océaniques, qui rassemble une quarantaine d’ONG. Si ces contrats sont convertis en licences d’exploitation, cela créerait la plus grande opération minière jamais entreprise dans l’histoire de la Terre. » Avec les risques inhérents pour les écosystèmes des grandes profondeurs, un univers largement inexploré dont deux tiers des espèces ne sont pas encore répertoriées. « Les plaines abyssales, qui se situent à environ 5’000 mètres de profondeur, sont des milieux extrêmes où la lumière ne pénètre pas, précise Lénaick Menot, chercheur au Laboratoire environnement profond d’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) sur polytechnique-insights.com. La température de l’eau est d’environ 2 °C et la pression est élevée. Contre toute attente, on y trouve une grande diversité d’espèces. Cependant, beaucoup d’entre elles ne comptent qu’un petit nombre d’individus, car la nourriture est rare : seulement 1 % de la matière organique produite en surface atteint les grands fonds marins. Poissons, crustacés, concombres de mer, étoiles de mer, oursins ou encore vers marins y vivent. Comment expliquer cette grande diversité ? Cela reste aujourd’hui un mystère. »

Uranoscope, espèce de poissons osseux vivant en Méditerranée © Laurent Ballesta/Gombessa V

Dans ce contexte, la question posée par Ifremer revient à se demander s’il est possible d’extraire les ressources des grands fonds marins de manière environnementalement acceptable et à un coût économique intéressant, vu l’importance des investissements technologiques nécessaires pour travailler à ces profondeurs. La compagnie Debmarine Namibia, une coentreprise à parts égales entre le groupe De Beers et l’État de Namibie, a de son côté déjà répondu à la question pour s’être spécialisée dans la récupération de diamants marins au large des côtes de Namibie depuis 2002. Avec des dragages réalisés à des profondeurs comprises entre 90 et 150 mètres, on ne parle certes pas de grands fonds marins, mais l’équation reste la même, si ce n’est que Debmarine n’a pas besoin de l’aval de l’AIFM pour opérer dans les eaux territoriales namibiennes.

En mars dernier, Debmarine présentait le Benguela Gem, navire d’extraction de diamants considéré comme le plus avancé au monde.

Pour ce qui est la première partie de la question, celle concernant la rentabilité économique, l’évolution de Debmarine offre la meilleure des réponses. En mars dernier, la compagnie présentait ainsi sa dernière « merveille », baptisée Benguela Gem, soit le navire d’extraction de diamants considéré comme le plus avancé au monde. Un petit « bijou » technologique à 420 millions de dollars, d’une longueur de 177 mètres, qui s’ajoute à la flotte existante de Debmarine, déjà composée de sept autres bateaux extracteurs. Grâce à ces nouvelles capacités, la coentreprise devrait être en mesure d’ajouter annuellement 500’000 carats de diamants de grande valeur, soit une augmentation d’environ 45 % par rapport au 1,1 million de carats de diamants marins extraits en 2021. « Cette compagnie opère dans une zone qui bénéficie des alluvions du fleuve Orange. Celles-ci charrient les diamants vers le delta et ses sédiments, explique Cédric Berruex, ancien directeur chez Piaget et fondateur de la compagnie joaillière Edelmont. Il s’agit là d’une situation unique, d’autant que les diamants qui sont extraits dans cette zone sont qualitativement parmi les meilleurs. En termes de gisements secondaires et au-delà du problème environnemental, ce site côtier est certainement une aubaine pour Debmarine, dans la mesure où les mines du désert namibien exploitées depuis des décennies commencent à se tarir. »

Cap sur le Groenland

Un avis pleinement partagé par Jan Nel, chef des opérations de Debmarine : « C’est le gisement de diamants marins connu le plus riche au monde, expliquait-il aux reporters de l’AFP montés à bord du Mafuta, autre navire extracteur appartenant à la compagnie. Il y en a pour cinquante ans de travail. » De quoi se frotter les mains pour une compagnie minière comme De Beers, qui trouve là une diversification des plus intéressantes par rapport à l’exploitation des gisements classiques. « Ces opérations sont également nettement moins polluantes que l’exploitation des gisements primaires, ces gigantesques entonnoirs à ciel ouvert qui se caractérisent par le concassage de tonnes de minerais, ponctué par le bal des poids lourds, avance le consultant Charles Chaussepied, ancien directeur de Piaget et ancien président du Responsible Jewellery Council. En comparaison, l’extraction marine est nettement moins gourmande en énergie et travaille en surface. Ce qui n’est évidemment pas sans poser problème au niveau environnemental, comme c’est d’ailleurs le cas avec la pêche au chalut, qui racle les fonds marins. »

Benguela Gem, le plus grand navire de récupération de diamants au monde Debmarine Namibia

Du côté de Debmarine, on défend les capacités de pointe du Benguela Gem avec son système de positionnement dynamique qui optimise automatiquement ses performances et minimise sa consommation d’énergie. Le navire génère également sa propre eau douce grâce à une usine de dessalement et dispose d’un système de récupération de chaleur. Reste la question des atteintes inévitables aux écosystèmes marins que Debmarine assure étudier de près afin de réduire son impact, études scientifiques indépendantes à la clé, afin de s’assurer également de la réhabilitation des milieux naturels détruits. À l’annonce de la construction du Benguela Gem, la compagnie avait exploité 8 km² pour une extraction totale de 5 millions de carats. De quoi nourrir l’idée d’aller voir ailleurs si la mer est aussi « productive » en diamants, au large du Groenland par exemple, ainsi que l’a déjà laissé entendre De Beers. À moins que là aussi un moratoire aboutisse en attendant des études scientifiques probantes et indépendantes sur les irrémédiables atteintes à l’environnement occasionnées par cette « chasse au trésor ».

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