De nos jours, voler nous semble une routine alors qu’il y a un siècle à peine les premiers avions s’arrachaient du sol. À cette époque, les premières caméras immortalisaient l’envol hasardeux de ces fous volants prêts à tout pour un instant de gloire. En ces temps où Alberto Santos-Dumont s’essayait au vol plané motorisé (1906), le pilote, en véritable fille de l’air, tutoyait la mort en espérant bien que son ange gardien saurait voler pour deux.
Ce pilote est le premier à s’être officiellement posé la question du temps de vol. Mais on oublie que lorsqu’il demanda à Louis Cartier de lui réaliser une montre-bracelet, ce Franco-Brésilien ayant ses habitudes chez Maxim’s était un aérostier reconnu (il avait gagné le prix Henry Deutsch de la Meurthe) mais ne s’était pas encore penché sur les avions, alors à leurs balbutiements. Bref, la montre Santos avait donc, selon toute vraisemblance, été créée pour l’aérostation et non pour les aviateurs, trop concentrés sur leur palonnier pour mesurer encore leur temps de vol. Mais tous savaient que bientôt ces aventuriers allaient partir, comme les marins près de deux siècles auparavant (1736), à la découverte d’un nouveau monde et qu’il allait leur falloir l’assistance de montres, comme il en fallait aux navigateurs, pour tracer leur route dans l’espace infini, où il n’existe pas de points de repère.
Les horlogers dans la course
Allez, les horlogers n’ont-ils pas toujours été à la pointe du progrès technique ? Dans ce cas de figure, il faut l’avouer, l’aviation allait leur donner du fil à retordre, car les évolutions étaient si rapides que les concepteurs horlogers ne parvenaient que péniblement à suivre. En 1906, les vols ne dépassaient pas 200 mètres. Le 25 juillet 1909 déjà, Louis Blériot, surnommé « le roi de la casse », parvenait à effectuer un vol transmanche de Sangatte à Douvres d’une distance de 40 km. Ce qui nous semble aujourd’hui un saut de puce était alors un exploit risqué. Ce vol de 37 minutes avait été mesuré par une montre Zenith qu’il devait décrire en ces termes dans un courrier datant du 19 mars 1912 : « Je suis très satisfait de la montre Zenith dont je me sers habituellement et je ne saurais trop la recommander aux personnes qui ont le souci de l’exactitude. » La manufacture allait rapidement embarquer dans la carlingue, mais surtout au tableau de bord, avec des montres d’aéronef Type 20. Les avions Caudron et, paraît-il, certains Dewoitine D520 de 1939 en étaient équipés.
La première conflagration mondiale allait donner aux aviateurs les moyens de démontrer combien ces nouveaux engins pouvaient changer la nature même d’un conflit. Balbutiante au début, cette nouvelle « arme » ne tarda pas à trouver ses héros et à faire progresser la technologie. Les pilotes, très tôt conscients de l’importance de disposer d’un garde-temps capable de leur donner de précieuses informations en vol, se dotaient alors de montres-bracelets, mais avant tout des premiers chronographes-bracelets, dont ceux proposés par Longines, qui devait s’intéresser très rapidement à cet univers promis à un développement spectaculaire. La fin du premier conflit mondial avait ô combien souligné l’importance stratégique de l’armée de l’air.
Formidable outil d’observation capable de pénétrer rapidement en territoire ennemi pour y porter la guerre, l’aviation avait un bel avenir au sein de l’armée, mais également dans le civil. Dans ce registre, des sociétés comme Breguet, Latécoère ou l’Aéropostale n’ont pas eu de peine à attirer des aventuriers prêts à prendre des risques insensés pour le simple plaisir de piloter et améliorer cette nouvelle technologie. L’orgueil national était en jeu et les pays technologiquement avancés faisaient tout leur possible pour tenir leur rang dans la course à la conquête du ciel.
Durant les années 1920-1930, les progrès aéronautiques ont été l’œuvre d’un tout petit nombre de héros. La mémoire collective a conservé les noms de Nungesser et Coli (disparus en 1927), de Charles Lindbergh, qui effectuait la traversée New York-Paris d’une traite en 1927, de Jean Mermoz, disparu en 1936, ou même d’Antoine de Saint-Exupéry, abattu le 31 juillet 1944 dans le sud de la France à bord de son avion d’observation.
Aux origines de l’Angle Horaire
Durant ces mêmes années 1920-1930, Longines établit une fructueuse collaboration avec le commandant Philip Van Horn Weems, un officier de l’US Navy qui avait développé en 1927 un système de navigation adapté aux garde-temps modernes. En collaboration avec Longines, Philip Van Horn Weems déposait le brevet d’une montre-bracelet capable de compléter les informations fournies par les chronomètres de bord. L’invention, fort utile à l’époque où seule la goniométrie permettait de faire le point, offrait à la montre la capacité de se synchroniser à la seconde près avec le signal horaire radiodiffusé sans dérégler les aiguilles, au moyen de la lunette extérieure ou du cadran central, tous deux tournants et gradués. Le brevet pour cette fonctionnalité fut enregistré en 1935.
Dès lors, Longines adapta sur certaines de ses montres avec aiguille de seconde centrale une mise à l’heure par zones mobiles. Cette idée fut reprise par Charles Lindbergh, par ailleurs élève de Weems, pour augmenter les fonctionnalités de sa montre à Angle Horaire. Même 90 ans après son exploit, il reste dans toutes les mémoires comme le pilote qui a accompli la première traversée de l’Atlantique de New York à Paris en monomoteur et sans escale en 33 heures et 30 minutes le 21 mai 1927. Il a également contribué avec Longines, qui était depuis 1919 fournisseur officiel de la Fédération aéronautique internationale (FAI), à mettre au point une montre destinée à aider les pilotes, mais pourquoi pas aussi les marins dans les calculs de leur trajectoire.
Charles Lindbergh, qui venait d’expérimenter l’importance de faire aisément le point avec le minimum de manipulations durant son vol New York-Paris, était conscient de la nécessité de disposer d’un instrument efficace à bord. Aussi imagina-t-il en quelques croquis un système destiné à faciliter la navigation aérienne et navale de l’époque. Son croquis était inspiré du brevet d’une montre déposé par le commandant P.V.H. Weems en collaboration avec Longines.
C’est donc logiquement avec la détentrice des droits de ce brevet que ce héros créait la montre à Angle Horaire destinée à donner la possibilité à son porteur d’effectuer des calculs autorisant de mesurer sa position en longitude. Cette montre, baptisée « Angle Horaire », et aujourd’hui rééditée pour les 90 ans du vol historique du 21 mai 1927, était dotée d’une lunette rotative graduée en degrés, comme le serait un sextant, et équipée d’un petit mécanisme simple faisant tourner un disque gradué interne permettant de synchroniser la montre à la seconde près à partir d’un signal horaire radio.