Parce que le temps qui passe est sans doute le pire ennemi d’une montre, parce qu’il orchestre la détérioration programmée de sa beauté originelle, les horlogers s’évertuent à éviter sa morsure en développant des matériaux toujours plus innovants. Chocs répétés ? Corrosion ou rayures ? Dans leur rêve d’éternité, horlogers et ingénieurs esquivent. Leur secret : conjuguer l’art (horloger) et la matière.
Au 29e Salon International de la Haute Horlogerie, une pléiade de nouveaux matériaux dont les noms riment généralement en « ium » ou en « tech », histoire d’accentuer l’aspect technologique de la chose, a déferlé dans les collections des marques. À commencer par IWC, qui innove à double titre. Tout d’abord avec une Grande Montre d’Aviateur Tourbillon à force constante édition « Le Petit Prince » en Hard Gold, un alliage d’or rouge dont la microstructure a été modifiée pour atteindre une dureté de 320 Vickers, quasi deux fois supérieure à celle d’un or classique. Mais aussi et surtout avec le Ceratanium. Un aperçu en avait été donné l’année dernière sur un modèle en édition limitée. La manufacture de Schaffhouse le produit désormais en série au sein de sa nouvelle collection de Montres d’Aviateur, plus particulièrement dans la ligne Top Gun avec la Montre d’Aviateur Double Chronographe Top Gun Ceratanium. Aussi léger et robuste que le titane, ce matériau breveté mis au point par IWC se révèle également aussi dur et résistant aux rayures que la céramique. « Ces deux matériaux font partie de l’histoire de la marque, souligne Lorenz Brunner, directeur du département R&D d’IWC. Nous utilisons le titane depuis le début des années 1980 et la céramique depuis 1986. Le problème de cette dernière est le risque de casse et un processus de production très compliqué. Quant au titane, il est léger, certes, mais peu résistant aux rayures. »
Avec le Ceratanium, largement inspiré du secteur médical, IWC combine le meilleur des deux matériaux. Taillés dans un alliage composé majoritairement de titane, le boîtier, la boucle, la couronne et les poussoirs font tout d’abord l’objet d’une terminaison de surface – sablage, polissage ou satinage – avant de subir un traitement thermique. La couche externe du métal se transforme alors en céramique tandis que l’intérieur demeure en titane. Résultat : une dureté de 1’300 Vickers et un poids 33 % plus léger que l’acier.
Panerai dans la course
Rodée aux fonds marins et aux situations extrêmes, Panerai propose également une immersion dans la technique des matériaux à travers la montre de plongée Submersible BMG-TECH 47 mm. Le boîtier est façonné en BMG-TECH, un verre métallique amorphe obtenu à partir d’un alliage spécial composé de zirconium, de cuivre, d’aluminium, de titane et de nickel. Injecté à haute pression et à haute température dans un moule, il est refroidi en quelques secondes afin d’empêcher l’organisation des atomes. Caractéristiques : une microstructure « chaotique » qui assure une résistance aux rayures 70 % supérieure à celle du titane, un poids plus léger que l’acier, une excellente endurance aux chocs et à la corrosion. Pour couronner la robustesse de ce matériau d’avant-garde, la lunette de la Submersible BMG-TECH 47 mm est taillée en Carbotech, un matériau poids plume à base de fibre de carbone.
Un parfum d’aventure technique mâtiné de développement durable semble faire son chemin dans les départements de R&D.
Panerai ne s’arrête pas là. Sa nouvelle Submersible Luna Rossa 47 mm qui équipera le poignet de l’équipe italienne, challenger de la prochaine Coupe de l’America, affiche un boîtier en Carbotech et un cadran conçu à partir de morceaux de voile du monocoque AC75 de Luna Rossa. Quant au modèle Submersible Mike Horn Edition, il introduit un boîtier, un fond, une lunette et un protège-couronne en Eco-Titanium, un matériau en titane recyclé prolongé par un bracelet fabriqué à partir de PET recyclé. Ce parfum d’aventure technique mâtiné de développement durable semblait bel et bien faire son chemin dans les départements de R&D des horlogers présents à Genève la semaine dernière.
L’aéronautique s’en mêle
L’argument environnemental est largement revendiqué par Ulysse Nardin à travers les nouveaux modèles de la collection X dont les boîtiers explorent les vertus du Carbonium. Composé des mêmes fibres de carbone que celles utilisées dans l’aéronautique, ce matériau deux fois plus léger que l’aluminium promet selon la marque un impact environnemental réduit par rapport à un composite de carbone classique. Cerise sur le gâteau, il présente un aspect nervuré formé par les fibres de carbone que les designers et ingénieurs d’Ulysse Nardin peuvent combiner avec des pigments ou des métaux précieux, comme dans le Carbonium Gold, mélange de fibres de carbone de 7 µm et de particules d’or.
Cette association de fibres de carbone avec un autre matériau fait également son entrée chez Girard-Perregaux sur un prototype en Carbon Glass, mêlant carbone et fibres de verre blanc. Compressé, ce matériau annonce des caractéristiques particulièrement intéressantes en termes de légèreté et de dureté : il est, d’après la marque, 100 fois plus dur que l’acier.
Un spiral en carbone chez TAG Heuer
Matériau star du grand bal des nouveautés dévoilées la semaine dernière à Genève, le carbone s’invite aussi au cœur du mouvement. TAG Heuer intègre, pour la première fois dans un garde-temps, un spiral en composite de carbone, produit à partir de gaz naturel. Insensible à la force de gravité et aux chocs, amagnétique, indifférent aux variations thermiques, ce nouveau type de spiral assure une précision optimale au chronomètre Carrera Calibre Heuer 02T Tourbillon Nanograph.
Chez Richard Mille, le carbone TPT continue de se tailler la part du lion dans les modèles acidulés de la collection Bonbon, dont certains boîtiers alternent carbone et quartz TPT de couleur. Notamment une nuance turquoise inédite dont la mise au point a nécessité plus d’une année de développement au sein du laboratoire NTPT, tout spécialement pour Richard Mille.
Lumineuse en saphir jaune chez Hublot, douce comme la soie mais dure comme la pierre en revêtement Titalyt pour Élégante by F.P., résistante comme la céramique mais légère comme l’aluminium chez Singer Reimagined, la physique des matériaux n’a pas fini d’élargir les horizons de la mesure du temps. Quête de précision, rêve d’éternité, recherche d’inaltérabilité… Serait-il désormais permis de penser que la performance horlogère se mesure aussi en grammes et en Vickers ?