De nos jours, les tourbillons sont partout. Ou du moins développés par la quasi-totalité des Maisons qui revendiquent la maîtrise des complications horlogères. Un petit détour par Watches and Wonders Geneva suffit pour s’en convaincre. Sur les 40 marques exposantes, 31 d’entre elles proposent des tourbillons dans leurs collections courantes et, parmi elles, 18 en offraient une nouvelle interprétation lors de ce salon virtuel qui s’est tenu début avril. Ce mécanisme s’est d’ailleurs à ce point généralisé que l’on retrouve aujourd’hui des régulateurs à tourbillon dans pratiquement tous les types de pièces qui offrent plusieurs complications parmi les grands classiques horlogers que sont les calendriers perpétuels, les chronographes, les répétitions minutes et les modèles à fuseaux horaires multiples. Sans parler des grandes complications à l’instar de la Reverso Hybris Mechanica Calibre 185 de Jaeger-LeCoultre et des versions plus élaborées comme l’exotourbillon de Montblanc, le double tourbillon mystérieux de Cartier, le tourbillon 24 secondes incliné de Greubel Forsey ou encore le double tourbillon volant squelette de Roger Dubuis et le double tourbillon à 3 axes de Purnell, pour ne parler que des montres présentées lors de ce récent Watches and Wonders.
Cette profusion de tourbillons de toutes sortes, qui atteste de la maîtrise technique et de l’innovation dont les Maisons horlogères sont capables, est finalement un phénomène relativement récent. Pendant longtemps, cette invention brevetée par Abraham-Louis Breguet en 1801 a représenté un défi mécanique que peu d’horlogers étaient capables de construire. Le génial Breguet lui-même s’est d’ailleurs heurté à nombre d’obstacles avant de pouvoir démontrer toute la pertinence de son invention. « C’est à force de réflexion et d’observation qu’Abraham-Louis Breguet devait acquérir une parfaite compréhension des éléments pouvant nuire à la précision des garde-temps, spécialement au niveau de l’échappement, rappelle la Maison Breguet. Conscient qu’il ne pouvait à lui tout seul résoudre tous les problèmes de dilatation des métaux et de stabilité des huiles, il optera pour “compenser” les effets des lois physiques qui produisent des déformations sur les organes vitaux de la montre et altèrent la régularité de la marche. Ne pouvant s’attaquer aux lois de la gravité terrestre, il va faire le choix d’en “apprivoiser” les effets. Qui d’autre que Breguet pouvait proposer un tel projet, à la fois solide scientifiquement et tout de même un peu optimiste ? »
Résultat : le tourbillon était né, soit un mécanisme qui rassemble l’organe régulateur (balancier-spiral) et l’organe de distribution (roue d’échappement-ancre) dans une cage rotative mobile à même de compenser les variations de marche par un brassage des positions prises par le « cœur » de la montre. Géniale invention, certes, mais d’une extrême complexité dans sa réalisation. C’est probablement lors de son séjour en Suisse entre 1793 et 1795 que l’idée du tourbillon a germé dans l’esprit de l’horloger. Il faudra ensuite compter six ans avant l’obtention du brevet et encore six ans avant les premières ventes qui démarrent lentement. « On comprend que Breguet a sûrement sous-estimé les difficultés de mise au point de ce nouveau type de régulateur – encore un effet de son optimisme coutumier – et que les “dépenses considérables” et les “sacrifices” qu’il mentionne dans sa lettre au ministre de l’Intérieur lors de sa demande de brevet ne se sont pas arrêtés en 1801… Plus de dix années sont donc nécessaires à Abraham-Louis Breguet pour développer et fiabiliser cette invention extrêmement complexe. » Au final, Breguet et ses collaborateurs vont réaliser 40 Tourbillon entre 1796 et 1829, auxquels s’ajoutent 9 autres pièces qui ne seront jamais terminées…
Ces difficultés, les autres horlogers les ont bien évidemment rencontrées, si bien que le tourbillon est resté une rareté dans l’univers de la montre de poche que seule une poignée de Maisons pouvait proposer, au rang desquelles Girard-Perregaux et Vacheron Constantin, entre autres. Complexe à réaliser, ce mécanisme ne va donc s’imposer que progressivement dans les montres-bracelets. D’une part en raison de son utilité relative dans un garde-temps de poignet lui-même « brassé » dans toutes les positions et de l’autre parce que sa miniaturisation n’était pas sans poser problème. On notera la première montre-bracelet à tourbillon présentée par Omega en 1947 et celle de Patek Philippe l’année suivante. Il faudra ensuite attendre les années 1980 pour de nouvelles tentatives fructueuses, notamment chez Audemars Piguet avec la première montre-bracelet automatique à tourbillon d’une hauteur remarquable d’à peine 2,5 mm. Depuis, les tourbillons ont envahi la planète horlogère pour devenir un véritable sujet de recherche avec des applications aussi variées que novatrices. Et si son utilité est aujourd’hui encore un des sujets horlogers parmi les plus disputés, son ballet mécanique a conquis le cœur des collectionneurs. Plus de deux siècles après son invention, le tourbillon reste une « innovation » majeure. Breguet donne rendez-vous le 26 juin pour s’en convaincre, soit le 7 messidor de l’an IX selon le calendrier républicain de l’époque, le jour même où un certain Abraham-Louis Breguet devenait titulaire de son brevet pour… dix ans.