« Notre père aurait été fier de nous. Et nous sommes très fiers de lui également. » Sur la tribune du Nicolas G. Hayek Conference Hall, un auditorium de 400 places qui coiffe la toute nouvelle Cité du Temps à Bienne, Nayla et Nick ont l’air surpris de leur propre audace. La Présidente et le CEO de Swatch Group avaient convié, le 3 octobre dernier, presse et officiels à assister à l’inauguration du nouveau siège mondial de la marque Swatch. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les options architecturales retenues divergent totalement des standards de la manufacture horlogère, et même de l’idée que l’on se fait d’un bâtiment industriel. Sur 240 mètres de long, l’édifice ressemble en effet à une queue de serpent… ou de dragon, selon les sensibilités. Une œuvre de l’architecte japonais Shigeru Ban, lequel a dû utiliser les techniques de conception 3D les plus récentes pour la concrétiser. Les quelque 25’000 mètres carrés de surface répartis sur cinq étages hébergent désormais tous les départements de Swatch International et de Swatch Suisse, dans une ambiance très zen. Coût des travaux, qui ont duré plus de cinq ans : 125 millions de francs.
La course au temple horloger
Swatch Group ne nous a jamais habitués à de grands palais horlogers. Un goût pour le luxe construit, pourtant très tôt adopté par la branche : en 2007 par exemple, le groupe Richemont prenait possession de son nouveau siège à Bellevue (GE), vaisseau amiral réalisé par le Français Jean Nouvel. Une star de l’architecture, qui avait déjà conçu le centre de logistique Cartier à Fribourg, ainsi que la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain, à Paris. En 2012, ce fut au tour de Rolex de présenter son imposante forteresse de verre de 230’000 mètres cubes, installée aux portes de Bienne. La zone industrielle de Plan-les-Ouates (GE) enfin, qui abrite plusieurs dizaines de marques horlogères, s’est transformée en quelques années en un véritable showroom architectural en plein air. Autant d’édifices ultramodernes et très design, qui participent de manière importante à l’image des sociétés qui les occupent.
Je voulais un bâtiment qui s’inscrive en opposition à celui d’Omega, si carré, si rigide. Je souhaitais un contraste. La forme m’est donc venue naturellement.
C’est donc peu dire qu’avec cette réalisation Swatch Group rattrape un retard de plus de 10 ans. Ou plutôt prend un chemin de traverse dans la course au temple horloger, créant au passage un buzz mondial. La structure de bois qui s’entrecroise et se contorsionne se compose de 4’600 poutres, représentant 1’997 mètres cubes et 11 kilomètres linéaires. Le tout issu des forêts suisses. L’enveloppe, pour sa part, est constituée de 2’800 éléments, opaques, en verre ou recouverts de panneaux photovoltaïques incurvés et créés sur mesure, embrassant parfaitement la forme oblongue et ondoyante. L’extrémité de l’édifice enjambe la rue Nicolas G. Hayek pour venir s’appuyer sur le bâtiment d’en face, la Cité du Temps, qui abrite notamment deux musées (Omega et Swatch), ainsi que le Conference Hall. « Il n’y a rien de standard dans cette construction, a insisté Nick Hayek. Tout a été fait par des artisans, sans qui rien n’aurait été possible ! »
Un architecte mondialement reconnu
Déjà mandaté pour la réalisation du Nicolas G. Hayek Center de Tokyo, qui a ouvert ses portes en 2007, Shigeru Ban est également le créateur de la nouvelle manufacture Omega, inaugurée juste à côté en 2017 – un projet global (avec la Cité du Temps et le siège de Swatch) qui a coûté 220 millions de francs. Visiblement amusé par tant de questions concernant le concept du corps de reptile, le Japonais a fini par répondre : « Je devais d’abord épouser la forme du terrain (entre petite rivière et parc arborisé, ndlr). Mais je voulais aussi un bâtiment qui s’inscrive en opposition à celui d’Omega, si carré, si rigide. Celui-ci répond au même concept d’armature en bois, mais je souhaitais un contraste. La forme m’est donc venue naturellement. »
Nous n’avons pas voulu un ouvrage monumental pour impressionner, pour intimider, mais pour soulever la curiosité ! Vous devez vous approcher pour découvrir Swatch.
Utilisant les eaux souterraines pour le chauffage et la climatisation, l’énergie solaire pour une partie de la consommation électrique et entièrement équipée de fenêtres et de stores intelligents, la « queue de serpent », comme on la nomme déjà dans le quartier, ne laisse pas indifférent. Alors que les autorités locales espèrent redorer l’image de la ville grâce à un afflux de touristes, Nick Hayek parle avant tout d’un « ambassadeur de l’émotion » : « Nous n’avons pas voulu un ouvrage monumental pour impressionner, pour intimider, analyse-t-il. Mais pour soulever la curiosité ! Vous devez vous approcher pour découvrir Swatch. »